mercredi 7 octobre 2015

Les catholiques, Charamsa, et le "buzz"


"Pour bien comprendre la position de l’Eglise dans la société moderne, il faut comprendre que celle-ci est disposée à lutter seulement pour défendre ses libertés corporatistes particulières (de l’Eglise comme Eglise, organisation ecclésiastique), c’est-à-dire les privilèges qu’elle proclame liés à sa propre essence divine ; pour cette défense l’Eglise n’exclue aucun moyen, ni l’insurrection armée, ni l’attentat individuel, ni l’appel à l’invasion étrangère. Tout le reste est relativement négligeable, à moins qu’il ne soit lié aux conditions existentielles propres. Par « despotisme » l’Eglise comprend l’intervention de l’autorité laïque étatique dans le sens de la limitation ou de la suppression de ses privilèges, rien de plus ; elle est prête à reconnaître n’importe quel pouvoir de fait, et, à condition qu’il ne touche pas à ses privilèges, à le légitimer ; si par la suite il accroît les privilèges, elle l’exalte et le proclame comme providentiel. Considérant ces prémisses, la « pensée sociale » catholique n’a qu’un intérêt académique ; il faut l’étudier et analyser en tant qu’élément idéologique opiacée, tendant à maintenir certains états d’âme d’attente passive de type religieux, mais non comme élément de la vie politique et historique directement active " (Gramsci, Cahiers de prison)
Toujours catholique, je ne souscris pas à ce texte de Gramsci en exergue, mais la réception depuis une semaine par divers blogueurs, prêtres, journalistes et évêques catholiques du coming out du père Charamsa m'y a fait irrésistiblement penser, sans que j'y puisse grand chose.

Le sens de ce texte est que la "pensée sociale", et plus largement, l'enseignement de l'Eglise, sont le reflet et l'expression d'enjeux de pouvoir, en particulier la préservation ou l'accroissement de l'influence de celle-ci sur la société, et qu'elle est prête à toutes les compromissions, toutes les contradictions, voire tous les crimes lorsque ces exigences sont mises en péril.

Je pense à ce texte parce que la froideur, la dureté, le cynisme et le mépris, voire l'indifférence ostentatoire des réactions catholiques au coming out du père Charamsa, que j'ai certes moi-même trouvé un peu maladroit sur le coup, m'ont vraiment sidéré. Et je ne crois pas être suspect d'être un optimiste béat sur les questions d'Eglise.

Deux types de réactions m'ont scandalisé:

1) Les condamnations. J'ai en tête:

- le billet "La chute d'un prêtre", du père Roland-Gosselin sur Padreblog, qui dit sa douleur de voir un prêtre manquer à ses voeux, minimise les implications de son homosexualité dans cette histoire, et nous écrit ce petit morceau d'anthologie:

"La tentative ridicule et malhabile de justification du prêtre est odieuse. Dire que le clergé est largement homosexuel et homophobe, dressant ainsi le portrait de ses frères prêtres comme étant des gens frustrés et meurtris par une loi de l’Eglise apparaissant inique, est faux, profondément injuste. C’est un grave scandale dans lequel nous ne pouvons pas tomber."
- l'éditorial "Synode, lobbying romain" d'Isabelle de Gaulmyn sur le site de La Croix, qui interprète ce coming out comme une "provocation" "inutile et hors de propos" (alors que la question de l'homosexualité est un des gros enjeux du synode!) et comme une "embuscade", et qui minimise là encore l'impact du coming out en réduisant l'homosexualité dans l'Eglise, suivant la (pas si) bonne vieille habitude catholique à une histoire de "souffrance" individuelle qui serait beaucoup mieux et plus dignement vécue en silence.

- la tribune "Pourquoi?" du père Amar, qui reproche au père Charamsa de "diffuser le poison du doute et de la suspicion qui rejaillira sur tous ses frères" et de " créer le scandale". Et nous livre cet autre morceau d'anthologie:

"Le mensonge, c’est ce prêtre qui le distille en osant affirmer que le clergé est largement homosexuel et homophobe. Il est profondément injuste lorsqu’il décrit ses frères prêtres comme des gens frustrés et meurtris par une loi de l’Eglise inique et inhumaine. C’est faux et c’est un jugement d’une violence incroyable."
(je choisis de croire que la formule "homosexuel et homophobe", aussi bien dans l'article du père Roland-Gosselin que dans celui du père Amar,  est une maladresse d'expression et non la suggestion d'une équivalence  entre les accusations d'homophobie et d'homosexualité).

 - l'entretien absolument  immonde et inexcusable du père polonais Dariusz Oko, dont l'homophobie manifeste (pardon, pères Roland-Gosselin et Amar, pour ce "jugement d’une violence incroyable") semble avoir joué un rôle important dans le coming out du père Charamsa, accordé au site traditionaliste Church Militant. Entre autres insultes, il l'accuse d'être "une personnalité perturbée, immature et égoïste" et de placer "le sexe gay avant Dieu". Lui est toujours en fonction.

Nettement moins choquants que ces articles, mais néanmoins regrettables:

-la réaction politique du père Lombardi, compréhensible au regard de ses responsabilités et du contexte immédiat, mais sans nuances.

- celle sur twitter du père James Martin s.j., qui accomplit un travail remarquable de promotion d'une Eglise plus accueillante envers les personnes LGBT, mais qui semble n'avoir vu dans ce coming out que la rupture d'une "promesse à Dieu".

2) le mépris et ou le silence ostentatoire:

- ce tweet éclairant de Jean-Pierre Denis:
Après tout, quel intérêt pour la discussion des principes de l'enseignement sur la famille de l'Eglise de prendre en compte ses effets concrets sur la vie des personnes?

- ces propos insultants du cardinal André Vingt-Trois:


 - un éditorial des Cahiers Libres, signé Charles Vaugirard, qui fait délibérément silence sur les tensions et les contradictions révélées par ce coming out, pour écrire, sans doute à l'aide d'une boule de cristal:

" Prier pour le synode, voilà l’essentiel. Mais une prière confiante car le Seigneur ne laissera jamais tomber son Eglise. Le résultat du synode ne pourra pas nous décevoir, et le Saint Père non plus. 

Suivons donc ce synode avec grand intérêt et surtout en priant et dans la confiance. L’enjeu est de taille et l’exhortation apostolique qui suivra sera un grand texte pour notre temps."
 On a eu au cours des siècles précédents,non seulement des synodes, mais des conciles tumultueux, dont un qui est entré en schisme avec le pape, et des documents magistériels qui ont approuvé les pires errances, mais maintenant c'est cool, Dieu est revenu et va nous surveiller tout ça. La pensée magique des catholiques d'aujourd'hui, qui oublient l'histoire et qui nient la responsabilité des clercs au nom d'une lecture erronée de l'infaillibilité magistérielle.

On est certes très loin, dans ces réactions, de "l'insurrection armée", "l'attentat individuel" ou "l'appel à l'invasion étrangère" dénoncés par Gramsci. Mais on retrouve une forme d'incapacité structurelle à prendre en compte les souffrances et les contradictions, quand elles mettent en danger le discours officiel et l'image publique de l'Eglise.

La rupture d'un engagement définitif, a fortiori quand celui-ci était devant Dieu et a été scellé par un sacrement , est toujours regrettable. Force est cependant de remarquer que des prêtres qui renoncent au célibat et à leur charge pour être réduits à l'état laïcs, c'est au fond quelque chose de finalement très banal, et que beaucoup d'entre nous ont connu personnellement des prêtres dans ce cas. Et quand une situation apparemment banale suscite des condamnations extraordinairement fermes, il est très difficile de ne pas considérer que l'indignation véritable a pour objet quelque chose de beaucoup moins ordinaire. C'est-à-dire, en l'occurrence, le caractère inédit de cette intervention d'un théologien de la Congrégation pour la doctrine de la foi -qui publie plus habituellement des interventions défendant le "bon sens " et l'innocuité de l'enseignement de l'Eglise sur l'homosexualité- qui tout à la fois dit être homosexuel, et affirme avec force l'existence d'un état de fait qui est manifeste aux yeux des personnes qui fréquentent vraiment en connaissance de cause des homosexuels, mais sur lequel beaucoup de de catholiques persistent à s'aveugler: l'homophobie profonde et le déni de justice de l'Eglise, en tant qu'institution, et de son magistère.

Le père Charamsa pourrait bien rendre un culte sacrificiel à Satan et être l'auteur des pires turpitudes, il resterait à poser la question de ce que peut être la vie quotidienne d'un homosexuel dans un milieu professionnel et institutionnel, le Vatican et plus particulièrement la CDF, qui consacre tant d'efforts à minimiser la visibilité du fait homosexuel, et à enjoindre les LGBT au secret. Quel est, au quotidien, sur la foi d'un prêtre et d'un théologien, l'impact d'un discours, que ses fonctions obligent à connaitre de façon très approfondie, et qui nie de manière radicale ce qu'il vit au plus profond de lui-même? L'Eglise ne reconnait aucune dimension positive au désir homosexuel, et incite les personnes concernées à le réprimer au plus profond d'elles-mêmes. Dans les décennies récentes, elle a nié que la répression des homosexuels dans certains pays puissent constituer un problème, puisque garder son désir dans le secret du coeur suffit à se prémunir.Elle a barré l'accès à l'ordination sacerdotale aux homosexuels. Elle a vivement encouragé les mobilisations contestataires dans les pays faisant droit aux revendications des organisations LGBT, et s'est fait au contraire plus discrète et nuancée dans ceux qui les criminalisent. Comment, dans ces conditions, ne pas poser la question de ce que peut devenir la résolution d'un homme placé au centre de tous ces dispositifs qui visent à taire, condamner et réprimer une composante profonde de sa personnalité, et quels obstacles ont pu constituer pour sa foi les propos sur l'homosexualité de collaborateurs tels que le père Dariusz Oko? Et comment affirmer aussi sommairement et sans réflexion ni enquête approfondies, sans mentir à soi-même et à autrui, que son témoignage sur l'homophobie qu'il a vécu au quotidien, jusqu'à sacrifier sa carrière, son statut et sa réputation pour parler enfin, n'est qu'une "tentative ridicule et malhabile de justification" et "un mensonge"? COMMENT!?!

Tels de vulgaires politiciens (sans doute beaucoup plus sincères, mais avec des gestes comparables), les catholiques semblent s'ingénier à discréditer sa personne pour occulter son propos. Car finalement, tout ce qu'on lui a opposé se résume à des attaques ad personam. On a dit qu'il était un menteur, un manipulateur, qu'il était irresponsable. On l'a accusé de manquer de discrétion, de chercher le "buzz", d'être inopportun. D'être perturbé, immature et égoïste. En somme, on lui a reproché, non pas d'avoir longtemps menti, mais d'avoir finalement dit la vérité sur lui-même et ce qu'il ressentait. D'avoir parlé:

Le fond du débat, ce n'est donc pas la rupture de son engagement (on lui reproche, non pas tant de s'être longtemps caché, mais d'avoir cessé de le faire). Mais bel et bien le "coming out", le fait d'être allé au dehors de lui-même montrer au monde ce qu'il était réellement, en tant qu'homme, en tant que prêtre, et en tant que théologien et membre de la CDF.

Anthony Favier l'a écrit beaucoup mieux que moi, en réaction au billet du père Amar:

(Publié sur mon mur Facebook. L'auteur a autorisé la diffusion publique)

Au delà du cas personnel du père Charamsa, et même des questions du synode et de l'homosexualité, cela révèle pour moi deux difficultés du catholicisme contemporain:

1) le refoulé

Tout se passe parfois comme si un certain nombre de catholiques étaient, à force d'intérioriser au jour le jour une doctrine complexe et fermée ayant réponse à la plupart des questions de la vie, tels des logiciels, programmés pour réagir à certains paramètres, et n'arrivaient pas à gérer tout ce qui n'est pas prévu par ces derniers. Je ne crois pas qu'aucune des personnes que j'ai citées soient cyniques dans la mise en oeuvre de cette opération d'occultation d'un témoignage, ni manquent de sincérité dans leur indignation. Je crois même la plupart d'entre elles profondément généreuses et soucieuses d'agir pour le mieux. Il reste qu'elles se conduisent comme si, face à deux anomalies dans le comportement habituel d'un prêtre: l'une prévue, et condamnée, par la doctrine catholique, qui est la rupture des voeux, et l'autre, également prévue et condamnée, mais dont le caractère immoral est autrement plus difficile à justifier, et renvoie chaque catholique à ses propres ambiguités et incertitudes -c'est-à-dire l'homosexualité "active"-  la première déclenchait tous les signaux et libérait une parole automatique, récitant la valeur du sacerdoce, de la vérité etc., et la seconde,  par une sorte d'effet Voldemort, devait surtout ne pas être dite, rester secrète, être confinée à la vie privée et à l'intimité des coeurs pour ne pas faire "scandale". Le sens littéral du tweet du père Grosjean, notamment, est que le vrai péché, celui qui véritablement ne peut être ni compris ni accepté, ce n'est ni la rupture du célibat ni l'homosexualité, que dans le "silence " "personne" n'aurait "jugé",  mais le scandale, c'est-à-dire avoir porté sur la place publique, avec l'autorité du prêtre et du théologien, l'idée que le célibat sacerdotal et l'homosexualité pouvaient bien être des problèmes. Que, au fond,  dans cette guerre culturelle qui oppose l'Eglise aux féministes, aux LGBT, aux progressistes, aux gauchistes etc. elle pouvait bien, du point de vue de quelqu'un particulièrement peu suspect de méconnaître son fonctionnement et son discours, avoir tout de même un peu tort et ses adversaires un peu raison. Que tout n'est pas toujours la faute des médias qui désinforment et des "laïcards" qui ne savent pas de quoi ils parlent. Le père Roland-Gosselin parle du "poison du doute et de la suspicion qui rejaillira sur tous ses frères".

Il me semble, et j'y ai déjà fait allusion dans plusieurs billets, que l'Eglise d'aujourd'hui, laïcs et clercs, si préoccupée, et pas que pour des mauvaises raisons, loin de là, de "cohérence doctrinale", a du mal à être attentive aux discontinuités et aux lignes de fuite qui sont pourtant la marque de toute réalité concrète. Qu'elle semble trop souvent refuser, par principe, de vérifier dans la réalité concrète, sensible, multiple, la portée et l'actualité de ses principes. Par exemple, concernant son enseignement sur la vie conjugale, la signifification que peut avoir le témoignage d'un prêtre homosexuel, qui vit depuis des années au plus près des plus hautes sphères de pouvoir de l'Eglise. C'est "inutile", dit Isabelle de Gaulmyn. Ce n'est pas "le fond du sujet", renchérit Jean-Pierre Denis. Il "déraille", se moque un prince de l'Eglise. Je ne suis pas un spécialiste ni un fan de Lacan, mais on pourrait presque voir dans le coming out de Charamsa l'irruption du Réel traumatique dans les failles de l'ordre symbolique de la doctrine sociale de l'Eglise, et tenter une psychanalyse de cette dernière, de ses dénis et ses déplacements discursifs (c'est sa souffrance privée, l'important c'est la rupture du célibat, il ment...).

2) le rapport aux médias et aux réseaux sociaux

Quand j'ai vu divers catholiques reprocher à Charamsa de rechercher le "buzz", j'ai spontanément pensé que c'était l'hôpital qui se moque de la charité. C'était même le titre du présent billet, avant que je parvienne à me calmer. Depuis les attaques médiatiques de 2008 contre Benoit XVI, je vois la communication prendre une part énorme et croissante dans la vie de l'Eglise, sur internet comme ailleurs. Qui est peut-être aussi une remémoration des qualités de communicant de Jean-Paul II, une forme d'hommage de la part des premières générations JMJ désormais aux manettes. Je pense au titre du vieux blog, au demeurant relativement discret, de Guillaume de Prémare: "urgence comm catho!".

Il y a un enjeu catholique parfaitement compris par l'épiscopat et la presse catholique, qui consiste à rendre audible sur la scène politique et médiatique, et suivant ses codes, la parole chrétienne, malgré une certaine laïcisation de nos sociétés occidentales, et la perte d'influence concomitante de l'Eglise. D'où la présence régulière dans les médias et les réseaux sociaux de prêtres et d'évêques de premier plan, la promotion d'événements médiatiques tels qu'"Erbilight", ou les états généraux du christianisme, ou encore celle de groupes de pop louange comme Glorious. Ou encore la valorisation de la "cathosphère", dont j'ai moi-même profité et qui tranche avec la rivalité entre certains médias "traditionnels" et blogueurs politiques.

Tout cela, je le pense sincèrement, est très bien, et même à mon très modeste niveau, en tant que blogueur catholique, j'en ai personnellement retiré une audience et des rencontres qui m'ont véritablement enrichi, humainement, intellectuellement et spirituellement. Force est de reconnaître que j'appartiens au moins en partie à une génération de catholiques qui a appris à éprouver, en bien ou en mal, l'importance politique d'une communication, maîtrisée ou non, et a ressenti le besoin d'apprendre à en maîtriser les méthodes et les effets.

Les institutions et fidèles catholiques ont fait d'énormes efforts,ces dernières années, pour s'approprier les codes de la communication dans les médias et sur internet, et pour acquérir une certaine maîtrise de l'image institutionnelle et idéologique du catholicisme, dans la perspective de montrer une Eglise qui apparaisse jeune et subversive, et non pas vieillissante et sur le déclin. L'imagerie lisse et télégénique de la Manif pour tous (oui, je sais, "apolitique", et "aconfessionnelle" soit-disant), n'a fait qu'hériter de l'expérience organisationnelle des frat, jmj, et autres gros rassemblements et ou pélerinages plus connotés confessionnellement.

Mon propos étant, non pas de condamner en bloc ces initiatives, mais de relever combien l'Eglise s'est engagé dans un contrôle minutieux et chaque instant de sa visibilité médiatique, et combien elle a accordé elle-même du sens aux images et aux symboles.

Le martèlement dans les médias et les réseaux sociaux des événements clés de l'actualité catholique (élection d'un pape, synode, échéances liturgiques) ainsi que de l'attachement des catholiques à leur institution et à son enseignement s'apparente, sans que cela soit "sale", à la construction d'une image sociale de l'Eglise "acceptable", (une forme d'"empowerment" peut-être, comme diraient les féministes,  pour les catholiques pratiquants.

D'une manière qui ne me parait ni surprenante, ni spécialement plus discordante ou condamnable, un prêtre homosexuel a choisi de se réapproprier ces codes, et la scénarisation orchestrée, de manière au demeurant régulièrement discordante par les médias et blogs catholiques, pour transmettre ce qui lui est apparu juste, quelques soient les conséquences pour lui même.

So what?

Bêtement, j'ai tendance à comprendre dans l'expression "recherche du buzz", l'expression de la quête d'un intérêt personnel au détriment d'autrui. Et non le sacrifice de revenus, d'une position sociale et intellectuelle, d'une réputation, d'un paix extérieure, pour une vie de couple certes plus visible, mais également des campagnes de dénigrement institutionnelles et médiatiques, la promiscuité des médias, la nécessité de chercher un nouvel emploi stable, la politisation d'une vie...

Le père Charamsa a pris le parti de faire le buzz... Comme François. Comme Barbarin. Comme la Manif pour tous. Comme Erbilight. Comme le Cardinal Sarah... Mais lui, c'est le mauvais buzz: celui qui "divise", qui fait se sentir mal, voire se remettre en question les catholiques. Qui ne contredit pas la "désinformation médiatique", voire la renforce... Son tort n'a pas été de faire le buzz, mais d'être du côté obscur du buzz. Il ne s'est pas discredité par sa recherche de la bonne image, mais de celle dissonante dans la grande symphonie médiatique chrétienne, blasphémant contre la célébration sacrée de la modernité et de l'ouverture
synodale catholique.



En ce sens, certains journalistes catholiques connus pour leur vision "ouverte" de l'Eglise ont jugé ce coming out avec sévérité. La spectaculaire et fort peu habituelle agressivité d'Isabelle de Gaulmyn s'appuie sur la dénonciation d'une "confession fracassante – et sans aucun doute soigneusement préparée et orchestrée – ", et elle ajoute que pour  "« marcher ensemble », encore faut-il prendre la même route, sans s’égarer sur les chemins de traverse. Et sans non plus se poster en embuscade, avec comme objectif non avoué d’interrompre toute la démarche." Ainsi, au nom d'une vision stratégique bien comprise autoproclamée de l'ouverture et de l'inclusivité, une journaliste catholique établie et reconnue de l'institution se pose en arbitre de la bonne manière de revendiquer le point de vue des minorités ecclésiales.

Avec plus de sympathie pour la démarche du père Charamsa, François Vercelletto en juge le tempo "contre-productif":


"Ne risque-t-elle pas d'avoir un effet contraire au but recherché ?C'est ce que craint une fédération de catholiques homosexuels, qui s'est précisément constituée, le week-end dernier, à Rome. "C'est un coup de poing en pleine face pour la curie et cela risque de braquer la partie la plus conservatrice", a estime le tout nouveau Global Network of Rainbow Catholics.Le courrier adressé aux pères synodaux,  publié sur la page Facebook du GNRC, moins spectaculaire que le coming out du père Charamsa, n'en est pas moins beaucoup plus constructif."C'est ce que craint une fédération de catholiques homosexuels, qui s'est précisément constituée, le week-end dernier, à Rome. "C'est un coup de poing en pleine face pour la curie et cela risque de braquer la partie la plus conservatrice", a estime le tout nouveau Global Network of Rainbow Catholics.Le courrier adressé aux pères synodaux,  publié sur la page Facebook du GNRC, moins spectaculaire que le coming out du père Charamsa, n'en est pas moins beaucoup plus constructif."

Avec toute la réelle et profonde estime que j'ai aussi bien pour François Vercelletto que pour le GNRC, je suis en très profond désaccord avec leur analyse, qui me parait procéder d'une sorte de péché originel du catholicisme contemporain. L'idée que les vérités d'Eglise s'éclairent d'en haut, de manière intellectuelle et abstraite, dans la spéculation et la "disputatio" plutôt que dans l'observation et le témoignage de la vie concrète des fidèles, avec leurs péchés, leur ignorance et leurs maladresses, mais aussi leurs expériences inédites.

Peut-être (et honnêtement, c'est de toute façon vraiment très très loin d'être gagné) que le synode était parti pour avoir une phrase d'ouverture explicite sur l'homosexualité dans son texte conclusif. Et que du fait du coming out du père Charamsa, il ne comportera qu'un quart de phrase d'ouverture implicite. Et sans doute , on pourra trouver cela dommage. Il me semble cependant que l'acceptation de l'homosexualité comme orientation normale et potentiellement sainte, est passée, pour beaucoup d'entre nous, par la fréquentation personnelle et concrète de personnes homosexuelles, et non par un dialogue de type philosophique ou théologique. Et que l'émancipation progressive des homosexuels en Occident a été beaucoup mieux servie par les coming out un peu médiatiques et les "zap" (au sens d'Act Up) que par les grands dialogues humanistes un soir de vendange entre étudiants catholiques et étudiants homosexuels, ou par les dialogues intellectuels et un peu formalisés politiquement et ecclésialement entre évêques progressistes et tradis. Alors peut-être que le timing du coming out va durcir pendant quelques jours l'ambiance du synode. Je ne crois pas une seconde qu'il peut véritablement polariser davantage les positions, dont tout le monde connaissait l'antagonisme et le caractère tranché des mois avant samedi dernier. Par contre, je crois profondément que les catholiques, dont moi, qui ont appris à accepter la sainteté potentielle ou réelle des couples homosexuels l'ont fait par la prise de conscience et la rencontre des homosexuels autour d'eux, et non par des discussions théoriques ou par leur bienveillance naturelle. Et qu'un coming out à l'entrée d'un synode, quelles que soient les réactions de mauvaise humeur ou d'incompréhension à court terme, est un beau symbole qui a des chances de durer et de marquer les esprits. Le synode (sans nier l'influence divine, mais j'en constatais aussi les effets en aumônerie, et aucun animateur ou responsable ou pasteur se risquait pour autant à négliger la sécurité et la préparation sous prétexte que Dieu pourvoit à tout. La foi n'exclut pas la prise en compte des faits) est une démarche sans doute tout à fait excellente et sainte pour recueillir le fruit de l'évolution des mentalités, mais cette évolution est rendue possible, en matière de moeurs, par la multiplication et la prolifération, à tous les niveaux de la société de l'Eglise, des témoignages de minorités et des coming out, et non par la très hypothétique tolérance des évêques et des experts. Et c'est donc mettre la charrue avant les boeufs, et trahir une espérance naïve plutôt que "constructive", que de vouloir faire taire les témoignages sous prétexte qu'on est à un moment important (on est toujours à un moment important. je ne sais pas à quel moment de ma vie de catholique l'Eglise ne traversait pas un moment importante), et quelle que soient les qualités personnelles de tel ou tel pape. L'acceptation mutuelle ne se décrète pas d'en haute. Les préjugés évoluent quand on découvre que "l'autre" est en fait notre frère ou le type avec qui on rigole au boulot, y compris, peut-être, à la Curie. Et tant pis pour les codes et les convenances!

Isabelle de Gaulmyn rappelle qu'"un synode, c’est un processus qui signifie, étymologiquement « marcher ensemble ». Mais marcher ensemble, c'est aussi accueillir ensemble les péripéties du parcours et les facultés de chacun, quitte à improviser par rapport à la carte et l'horaire initial. Et quelle crédibilité donner à cette marche, quand les voix discordantes sont accueillies comme des trouble-fêtes et des pique-assiettes, , même lorsqu'elles témoignent sur une question à l'ordre du jour du synode?

Et c'est pourquoi il est important d'adopter, à temps et plus encore à contre-temps, un principe d'extrême bienveillance envers tous les coming out LGBT dans l'Eglise, quelles que soient leurs maladresses éventuelles sur le fond et:ou la forme. Pour donner un visage humain à ce point véritablement non négociable dans l'Eglise d'aujourd'hui :

La doctrine actuelle de l'Eglise sur l'homosexualité et les personnes homosexuelles est fausse. Et, plus grave, elle contribue à gâcher, chaque jour que Dieu fait, un peu partout dans le monde, la vie de milliers de personnes, d'ailleurs parfois très croyantes. Si le synode ne change rien de significatif sur cette question, sans nier ses avancées éventuelles sur d'autres points très importants tels que le cas des divorcés remariés, la violence contre les femmes, etc.,  ce ne sera pas parce que les médias se seront trompés, que les progressistes et les LGBT auront pris leurs rêves pour des réalités, que le pape aura trouvé un subtil point d'équilibre. Ce sera juste que les participants qui auront fait pencher la balance du mauvais côté devront un gros paquet d'excuse à Dieu et aux très nombreuses personnes dont ilsauraient pu rendre la vie un peu moins pourrie, et dont ils auront choisi de légitimer l'oppression au jour le jour.

Et AUCUNE AUTRE analyse, qu'elle vienne d'éditorialistes, d'évêques, de théologiens ou de blogueurs, ne sera vraie en faisant l'économie de ce simple constat.

samedi 3 octobre 2015

Quelques remarques sur le coming out de Mgr Charamsa...


Or donc, Monseigneur Charamsa, prêtre polonais, Monsignore (et non évêque), théologien, membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi et secrétaire adjoint de la Commission théologique internationale, a choisi, à la veille du synode sur la famille, de faire son coming out:


"Le père Krysztof Olaf Charamsa, 43 ans, membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi (l’ex-Saint-Office, organisme romain chargé de veiller à la cohérence de la doctrine), a révélé être homosexuel et avoir un compagnon, samedi 3 octobre, afin que, sans « attendre encore cinquante ans », « l’Eglise ouvre les yeux face aux gays croyants et comprenne que la solution qu’elle propose, à savoir l’abstinence totale et une vie sans amour, n’est pas humaine »." (Le Monde, "le coming out d'un prêtre polonais provoque la colère du Vatican")
Cette intervention a presque été immédiatement condamnée par le porte-parole du pape, le père Lombardi s.j.:


"Le Vatican n’a pas tardé à sanctionner l’homme d’Eglise, jugeant ce coming out« très grave et irresponsable » à la veille de l’ouverture du synode. « Evidemment, Mgr Charamsa ne pourra plus continuer à assurer ses fonctions précédentes auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi », ajoute le Vatican dans un communiqué. L’Eglise catholique précise que son statut de prêtre, qu’il pourra difficilement conserver après avoir reconnu vivre en couple avec son partenaire, sera discuté par les supérieurs hiérarchiques de son diocèse." (idem)


Quelques remarques à chaud de ma part, qui sont essentiellement une compilation de tweets et de statuts facebook publiés aujourd'hui (je sais, je vous fait perdre des minutes de votre vie que vous ne récupérerez plus jamais à lire deux fois la même chose. Je suis maléfique, mais à force de me lire, vous devriez le savoir):


- Objectivement, il a pris un risque (j'espère) assumé en mettant le Vatican dos au mur, et politiquement, Lombardi et le pape n'ont guère le choix, s'ils ne veulent pas complètement faire dérailler les débats du synode et radicaliser la frange conservatrice. A moyen terme, ce coming out peut libérer la parole des prêtres homosexuels et avoir des des conséquences bénéfiques, mais compte tenu de l'enjeu immédiat du synode, la colère de Lombardi peut se comprendre. Il est possible que ce coming out fragilise la position du pape face à ses critiques traditionnalistes. Mais le coup est joué et on verra bien.

- J'exprime cette inquiétude tout en étant conscient que je parle en tant que laïc hétérosexuel, citoyen d'un pays relativement ouvert au fait de l'homosexualité, observateur distant de la vie institutionnelle de l'Eglise, à propos de la vie d'un prêtre homosexuel, ressortissant d'un pays très conservateur sur les questions religieuses et de moeurs, qui est au coeur des coulisses vaticanes et qui vient de décider, avec un courage indiscutable, de sacrifier sa notoriété académique, son statut ecclésial et sa profession au nom de ce qu'il croit juste. Autant dire que je ne suis pas dans le registre de la condamnation ferme.

- Je note par ailleurs que son choix semble largement motivé par la situation intérieure de l'Eglise polonaise, dont je m'étais, de manière il est vrai béotienne, inquiété dans mes deux blogs: ici, et .

J'espère au moins qu'on ne fera pas grief à un théologien important de la congrégation pour la doctrine de la foi de ne "pas avoir compris" l'enseignement si subtil et secrètement merveilleux de l'Eglise sur l'homosexualité.

- Je note que certains insistent sur l'idée que son renvoi serait dû à la rupture de son célibat sacerdotal, sans réel rapport avec son homosexualité. Sans nier que sa rupture de célibat consacré constitue formellement au regard de l'Eglise une faute, ce n'est pas vraiment ce qui ressort selon moi de la déclaration du Père Lombardi, mais je m'en voudrais trop de montrer les éléments de langage pour ce qu'ils sont. Parce que bien sûr, s'il a jugée "grave et irresponsable" cette déclaration à la veille du Synode, c'est à cause du célibat des prêtres qui n'est pas à l'ordre du jour de ce synode. Mais après tout, la "Vérité" TM , ça ne sert qu'à dénoncer le "relativisme moral"...


Sur le rapport célibat sacerdotal/ homosexualité: se pose à mon avis la question de la différence des vocations, selon qu'on soit hétérosexuel ou homosexuels, reconnues comme possibles par l'Eglise: quand le seul choix canoniquement possible est celui du célibat , le choix de la continence dans le célibat a-t-il le même sens pour un séminariste ou un novice homosexuel que pour un autre hétérosexuel ? Et peut-on, quand on est un catholique respectueux du magistère et sans balayer devant sa propre porte, faire grief à quelqu'un de ne pas avoir assumé jusqu'au bout un choix qui lui a été presenté comme le seul viable:, celui, au delà du sacerdoce, du célibat dans la continence ? Ce prêtre a tenté de joué le jeu des possibilités autorisées par l'Eglise pour vivre une vie de foi sainte. La réalité en a jugé autrement. L'essentiel de la remise en question ne devrait pas à mon sens lui incomber. Et il me paraît donc malaisé de soutenir que le non respect du célibat n'a dans cette affaire aucun rapport avec l'homosexualité du prêtre concerné, et, surtout, avec le regard de l'Eglise sur l'homosexualité, qu'en tant que théologien il connait bien..



- Cette question de la rupture du célibat sacerdotal, dans ce contexte de coming out homosexuel, ne renvoie pas seulement au discernement vocationnel, mais également à des questions de théologie morale. Dans la grâce ( mariage ou sacerdoce) comme dans le péché (rupture d'un engagement en principe définitif et pris en connaissance de cause), homos et hétéros semblent être soumis, dans le discours de l'Eglise et des fidèles, à des régimes différents. Je ne crois pas contraire à l'Evangile de considérer que le péché (en l'occurrence la rupture d'un célibat sacerdotal) n'annule pas la valeur d'un témoignage qui engage une vie toute entière. Le message est brouillé, c'est dommage, mais il s'agit là encore, et comme toujours, de séparer le bon grain de l'ivraie, dans la vie des "pécheurs" comme dans celle des présumés "justes". Et il me semble voir beaucoup de bon grain dans son témoignage .

- Quoiqu'il en soit, et si je comprends que des catholiques espérant du synode plus d'ouverture envers les relations homosexuels puissent être inquiets des retombées politiques et ecclésiales de ce coup d'éclat, il peut aussi contribuer à libérer la parole d'autres prêtres homosexuels vis à vis de leur hiérarchie. Un peu à la manière -pardon pour la comparaison- dont le coming out de personnalités américaines a largement contribué à normaliser l'homosexualité dans l'espace public américain. Puisque le coup est joué, et quelles que soient nos objections au for interne, faisons tout, ensemble, pour qu'il porte le plus de fruit possible.


- Et espérons, suivant une expression en vogue ces dernières semaines dans les milieux catholiques, que "ça ira mieux demain"!