mardi 15 janvier 2013

L'"homophobie" introuvable?


Je viens de prendre connaissance d'un billet d'un jeune homosexuel, qui réagit en termes très durs à la manifestation du 13 janvier dernier contre le "mariage pour tous", en rappelant les moqueries et les brimades qu'il a subies toute sa vie du fait de son orientation sexuelle:

"[...]Vous grandissez et arrivez au collège. Vous devenez « la pédale » puis « le pédé ». Un jour vous entendez pour la première fois le mot « tante » mais vous ne saisissez pas pourquoi le frère d’une de vos copines de classe vous a dit ça. Un autre jour, c’est « tapette » puis « tarlouse ».

Parfois, il n’y a pas de mot. Juste un geste de la main, ce geste si féminin d’une main qui se rabat. Et ça arrive devant vos parents. C’est la première honte de votre vie. Ce même geste, un jour, votre prof de français de troisième va le faire devant toute votre classe. C’est la première humiliation de votre vie. Il appellera le soir même à la maison pour vous présenter ses excuses. Vous accepterez en le remerciant alors que vous vous vouliez juste lui dire d’aller se faire foutre. Et quand vos parents vous demanderont pourquoi il vous a appelé, vous prétexterez autre chose.

Vous allez grandir comme ça. Vous construire comme ça. Du primaire au lycée, puis à la fac. Rien ne vous sera épargné. Vous n’êtes pas une fille. Vous n’êtes pas un garçon. Vous êtes le pédé. [...]

Et moi j’ai honte pour vous. Et je vous HAIS. Je hais chacun de ceux que j’ai pu voir dans les médias. Je hais chacun de ceux dont j’ai vu les noms participants à la Manif pour Tous. Triste événement de notre histoire que nous devrions appeler « Manif contre Nous ». Je vous hais et j’ai souhaité si fort que vous mourriez tous dimanche. Je plains vos enfants, vos futurs enfants, ceux qui deviendront peut-être des garçons ou des filles comme moi, ceux qui le sont déjà et qui doivent terriblement souffrir de votre bêtise.[...]"
On peut certes objecter, et j'ai vu tout à l'heure certains de mes contacts Facebook commencer à le faire, que la "manif pour tous" n'est pas contre les homosexuels mais pour la famille, que ce n'est pas le mariage homosexuel en lui-même qui est contesté mais son lien avec la filiation, voire avec l'extension de la PMA... On peut aussi contester que les manifestants soient animés d'une aversion particulière à l'encontre des homosexuels: je me rappelle par exemple que le blogueur Koz avait en son temps sévèrement critiqué les contre-manifestations catholiques contre les "Kiss In", et s'était interrogé sur la facilité qu'il y avait à demander dans l'Eglise aux homosexuels de rester continents à vie. Enfin, j'avoue que je suis plus que réservé sur l'usage des noms en "-phobe", comme je l'ai expliqué jadis sur mon autre blog à propos de la "christianophobie" (quoique le mot "homophobie" me parait avoir un peu plus de sens en France aujourd'hui).

Il n'empêche: je me souviens avoir été témoin des moqueries que ce blogueur homosexuel décrit au collège, au lycée, dans la vie courante, professionnelle, familiale... Je me rappelle avoir moi-même fait des plaisanteries sur les homosexuels, sur l'homosexualité... D'y avoir ri, au visionnage de films, de téléfilms, de dessins animés... En lisant certains romans, certaines bandes dessinées... D'avoir participé  à la réception et au partage de ce substrat culturel qui nous influence, et nous accoutume à l'idée d'une homosexualité honteuse et un peu ridicule. A vai dire, j'entends beaucoup de catholiques protester de leur absence d'"homophobie", mais j'ai l'impression de l'être au moins un peu, homophobe, malgré tous mes efforts, tellement j'ai été habitué à cette image de l'homosexuel "tapette"...

Alors je crois que beaucoup de catholiques mobilisés contre le "mariage pour tous" sont sincères quand ils protestent de leur amitié avec des homosexuels, de leur dégout des discriminations menées contre eux, de leurs efforts pour ne pas être homophobes, que ce soit dans leur coeur ou dans leurs actes.

Mais je n'ai pu ces derniers mois m'empêcher d'entendre, de la part de personnes que je connais, dans ma paroisse ou ailleurs, des propos sur le débat en cours qui commençaient par "les homosexuels... les homos... les gays...". D'entendre jusque dans ma famille des gens dire "je n'ai rien contre le fait qu'ils se marient, ils font ce qu'ils veut, mais...", avec cette petite connotation de dégoût attaché au pronom "ils", comme si on parlait d'une bête de foire ou d'un sujet un peu honteux, un peu tabou. J'ai bien noté des (petites) améliorations au fil des années dans la perception sociale de l'homosexualité, que je crois cependant davantage due aux efforts du "lobby" LGBT (y at-il vraiment un lobby? Les courants apparaissent bien morcelés, et puis après tout, Alliance Vita est aussi un lobby, et ça n'a rien de mal en soi...) qu' à ceux de l'Eglise, qui affiche certes de manière très explicite une forme de bienveillance envers les personnes homosexuels (par opposition aux "actes", mais quand on parle d'orientation sexuelle, cette distinction a-t-elle vraiment du sens?) et condamne les discriminations, mais sans qu'on voit très précisément quelles actions concrètes elle propose pour que les catholiques et la société leur fassent un meilleur accueil. Et certes il y a des homosexuels qui soutiennent la "manif pour tous": une petite poignée autour du site Homovox, Xavier Bongibault, dont les débordements verbaux et le militantisme interrogent parfois, comme ce dimanche avec sa comparaison entre Hollande et Hitler, apparemment une récidive,  et Philippe Ariño, dont l'itinéraire personnel est très respectable, admirable même dans ce choix de la continence totale après un parcours tumultueux, mais dont on peut contester la propension à généraliser son témoignage sous forme d'énoncés qui prétendent dire l'essence de l'homosexualité, à partir d'arguments d'apparence très empirique et subjective sur son observation du milieu homosexuel (les homosexuels qu'il a pu fréquenter  sont ils le microcosme de l'homosexualité en général, et son regard sur eux est-il en correspondance avec l'essence de leur désir? ), et d'emprunts au vocabulaire psychanalytique (le principe de réalité par exemple), qui apparaissent compris d'une manière très affaiblie, voire pas compris du tout. 

Plus gravement, voir tant de catholiques s'enthousiasmer,  au détriment trop souvent d'expériences contraires,  pour le témoignage d'un homosexuel en particulier (et des quelques autres homosexuels qui le soutiennent, par opposition aux très nombreux qui le contredisent),   pour qui le désir homosexuel est lié de manière "non causale" à un fantasme de viol ("Et si le secret de l’homosexualité, c’était minoritairement le viol, et majoritairement le fantasme de viol ?" Araignée du désert, code n°178 "le viol"), sur la base d'une analyse qui semble tout de même très subjective, voire subjectiviste, et qui, cultivant un goût gratuit et amphigourique pour les formules paradoxales, décrit le combat pour les droits des homosexuels comme "homophobe" ("La vraie homophobie, ce n’est pas uniquement être trop méchant envers les individus homosexuels : c’est aussi être trop gentil. C’est pourquoi une société gay friendly et relativiste constitue une menace pour la communauté homosexuelle." Araignée du désert, Le Phil de l’Araignée 2: On n’a rien compris à l’homophobie...), me conduit précisément à mettre en doute une bienveillance envers les homosexuels que je supposai naïvement, avant cet été, acquise chez nombre d'entre eux. Comme si la pensée de Philippe Ariño venait répondre à une demande, celle d'une conciliation des textes de la Bible et du Magistère (parfois très durs contre l'homosexualité: on a reproché à des twittos ce dimanche dernier de diffuser une affiche de Civitas qui citait le Catéchisme de l'Eglise Catholique, sur l'"homosexualité comme acte intrinsèquement désordonné" en l'attribuant à la Manif pour tous, qui est certes "areligieuse" mais très soutenue par l'Eglise,, mais ce texte, c'est celui de notre catéchisme, de notre Eglise, qui visiblement n'est pas si facile à assumer dans la vie de tous les jours)  avec un souci de bienveillance envers les personnes homosexuelles (conciliation pas toujours si évidente que ce qu'on se dit parfois entre catholiques) comme si le fait qu'un homosexuel dise "vous avez raison", aussi contestables que soient les arguments qu'il avance, venait soulager les consciences. 

Après, je ne dis pas qu'il n'y a rien d'intéressant dans ce qu'il écrit: son témoignage est tout à fait à prendre en compte. Mais il est à mettre en regard, d'autant plus ce ce qu'il affirme des choses très graves sur la nature du désir homosexuel,  avec les témoignages de nombreux autres homosexuels (je ne crois pas un seul instant à la soit-disante "majorité silencieuse des homosexuels" qui serait contre le mariage pour tous ou qui vivrait l'homosexualité comme une "blessure") qui disent le contraire: pas à négliger à leur profit, mais pas non plus à instrumentaliser comme une manière détournée de leur confisquer leur parole... Et malheureusement, j'ai bien l'impression que son témoignage et celui de quelques autres sont utilisés de cette manière, comme argument ultime, imparable, contre les critiques en provenance d'homosexuels ou de défenseurs des droits homosexuels, pour ne pas avoir à écouter ni même entendre ces derniers.

Inversement, j'ai commencé à suivre depuis quelque mois divers LGBT sur Twitter, et je vois la peur et le profond malaise qu'ils expriment à chaque manifestation des opposants au projet de loi, et beaucoup de ces témoignages me paraissent sincères, et me touchent au plus profond de mon coeur.

Alors je n'en fait pas un argument en faveur du "mariage pour tous", je ne sais pas d'ailleurs, faute d'expertise ou de témoignage personnels que je pourrais apporter au débat,s'il y a lieu d'être pour ou contre (même si je suis de plus en plus pour): j'ai vu des argumentaires très travaillés par des personnes que je connais un peu personnellement et qui ne me paraissent pas haineuses envers les homosexuels, ainsi Koz ou Nicolas Mathey, qui s'opposent très fermement au projet de loi. Ils ne m'ont pas convaincu, y compris sur les risques supposés de l'homoparentalité, mais peut-être est-ce moi qui les ai mal compris (cela dit, je pense aussi que l'Eglise n'a pas suffisamment, très loin s'en faut, pris la mesure des "études de "genre" et de la critique qu'elles font des conditionnements sociaux qui influent sur notre perceptions des différences entre les deux sexes, ce qui empêche les catholiques d'être complêtement convaincants lorsqu'il parlent de la complémentarité des sexes, de la famille comme cellule de la société etc. Cette remarque ne visant pas ces deux blogueurs en particulier).

Mais ce qui me blesse et, à dire vrai, finit par vaguement m'écoeurer, dans cette mobilisation (encore plus que dans celle de Civitas), ce sont toutes ces protestations de non "homophobie", d'amour et de respect des homosexuels, voire de "vraie" lutte contre l'homophobie. Je suis persuadé qu'il y a des personnes parmi les manifestants d'avant-hier qui ont beaucoup moins de préjugés sur l'homosexualité que moi, mais enfin, bien sûr que la plupart d'entre nous avons un biais contre les homosexuels! Nous baignons dans une culture qui les a longtemps exclus, puis ridiculisés. Nous avons pour beaucoup d'entre nous, et moi le premier utilisé régulièrement de manière péjorative des termes qui renvoient à l'homosexualité ("tapette", "pédale", "tante" etc.), et avons souri au spectacle d'hommes éfféminés ou de femmes un peu trop masculines.  Ca ne veut pas dire que nous "haïssons" les homosexuels, ou que le projet de loi n'est pas mauvais (je n'en sais pas grand chose), mais quitte à le combattre, autant reconnaitre que la plupart d'entre nous portons, souvent peut-être à notre coeur défendant, mais de manière assez profonde, dans nos actes, nos paroles, notre regard, ce biais envers les homosexuels. Et pour ceux d'entre nous (ce n'est pas mon cas actuellement) qui nous opposons à ce projet de loi, continuons à agir en conscience, donc à nous y opposer, mais en considérant notre conscience toute entière, et en nous demandant quel est notre regard sur les homosexuels, et comment nous pouvons le faire évoluer pour le faire correspondre à un amour véritable. Ce qui à mon avis ne passe pas par des condamnations, face aux témoignages du type de celui qui ouvre ce billet (je viens de voir un contact facebook, que je respecte beaucoup par ailleurs, le qualifier de "ridicule" et l'accuser d'inverser la haine) mais par le fait de reconnaitre, que oui, la plupart des comportements qu'il dénonce sont fréquents, et que quitte à continuer à combattre le mariqage homosexuel ou tout du moins certaines de ses conséquences, on les confesse et on réfléchit (concrètement, pas des des rappels de principe faussement bienveillants sur la condamnation de toute discrimination) à notre part éventuelle de responsabilité et à ce qu'on peut faire pour changer ce regard et ces actes chez nous et chez les autres, en tant que personnes, que citoyens et que catholiques. Evitons en tout cas les formulations péremptoires et les fausses évidences: "tu n'as rien compris, je n'ai rien contre toi, mais je défends les enfants" (comme si aujourd'hui encore les préjugés n'avaient pas la vie dure chez nous tous)et reconnaissons au moins que la perception de l'homosexualité pèse au moins en partie dans notre point de vue du débat, et dans nos représentations sociales) quitte à parler aussi des problèmes de filiations, etc.

Ce qui vaudra toujours mieux que ces protestations souriantes du type: "Mais non voyooons, ça n'a vraiment auuucuunn rapport avec le fait que vous soyez homosexuels.", assez souvent prolongées par des "Faut-il que vous soyez haineux envers nous, cathophobes, pour dire ça!!!" qui franchement m'ont mis vraiment très mal à l'aise, m'ont même blessé dans ma foi, dans ce qu'elles m'ont paru avoir d'hypocrites (tous les catholiques ne sont pas mal disposés envers les homosexuels, mais comment nier que la majorité a au moins quelques préjugés et représentations fausses bien ancrés?), qui m'ont éloigné de manifestion du type de celle du 13 janvier, et me pousseront peut-être (peut-être) à défiler le 27.

Et quoiqu'il en soit, je m'interroge, beaucoup plus qu'avant, et je continuerai, sur ma perception de l'homosexualité et des homosexuels: car tout n'est pas clair dans celle-ci, que je me considère dans ma personne ou dans les opinions que j'associe à ma foi. Le projet de loi à de grandes chances de passer, mais, qu'il soit bon ou mauvais, si chacun de nous en profite pour se livrer à cet examen de conscience, je pense qu'au moins un bien en sera sorti...