dimanche 15 novembre 2020

Tempus fugit



 Je réalise que ça fait 12 ans que la cathosphère française s'est mobilisée pour défendre BXVI et 10 ans à peu près que j'ai commencé à fréquenter des blogueurs catholiques. Qui parfois moquaient le caractère has been à leurs yeux des cathos progressistes des années 1970/80.


Le temps fait son œuvre pour tous et toutes,  et ce n'est rien de dire que le bilan des évêques, à Rome ou ailleurs, ayant voulu s'inscrire dans une perspective critique du catholicisme progressiste est généralement assez catastrophique à maints égards.

mardi 28 mars 2017

Pourquoi je suis devenu sataniste

"All Bibles or sacred codes have been the causes of the following Errors. 1. That Man has two real existing principles Viz: a Body & a Soul.
2. That Energy, call'd Evil, is alone from the Body, & that Reason, call'd Good, is alone from the Soul.
3. That God will torment Man in Eternity for following his Energies.
But the following Contraries to these are True
1. Man has no Body distinct from his Soul for that call'd Body is a portion of Soul discern'd by the five Senses, the chief inlets of Soul in this age
2. Energy is the only life and is from the Body and Reason is the bound or outward circumference of Energy.
3 Energy is Eternal Delight" (William Blake, Marriage of Heaven and Hell)

1) J'ai relu récemment mon tout premier billet de blog, "Entrée internaute en Carême", publié le 17 février 2010. La "déclaration de principe" du blogueur néophyte que j'étais alors  me parait une bonne manière d'introduire le présent billet, dont l'objet est une relecture d'étape de ma vie, et notamment de l'année qui vient de s'écouler:

"En débutant ce blog, j'essaie (peut-être paradoxalement) de faire oeuvre de courage et d'humilité. Peut-être que les billets que j'y laisserai (et les réactions que ceux-ci susciteront) contribueront à l'édification de tout un chacun. Peut-être également que je me ridiculiserai par la banalité de mes idées et la vacuité de mon discours (ce qui sera certes édifiant d'une autre manière, plus douloureuse pour moi). Toujours est-il que cet affrontement avec autrui dans tout ce qu'il a de différent de moi, voir d'agressif, me permettra peut-être, si je garde cet esprit , d'accueillir plus sincèrement mon prochain, aussi antipathique et abrupt qu'il puisse me paraitre au premier abord.  Et peut-être également de l'inciter (de vous inciter cher lecteur) à reconsidérer telle ou telle opinion un peu trop évidente."
 C'était le mercredi des Cendres, je revenais de la messe et j'essayais de tromper ma faim. L'écriture de ce blog, aussi inhabituel que cela puisse paraitre, était une résolution de Carême. Sept ans et un peu plus d'un mois mois plus tard, je dois bien finir par m'avouer que ma foi s'est éteinte, au moins momentanément.

Pour retracer brièvement les grandes étapes de cette lente extinction,  discernables dans plusieurs billets de mes blogs, celui-ci inclus:

2) 2005- début 2009: retour à la foi catholique, fréquentation régulière des sacrements, découverte de la prière au travers de retraites ignaciennes, engagement progressif dans un groupe "jeunes pros" puis dans CVX, et investissement dans ma paroisse (aumônerie). Temps de discernement avec un accompagnateur spirituel en vue d'une éventuelle entrée chez les jésuites. Globalement, l'enthousiasme du converti est à son comble.

Mi-2009 à début 2012: découverte de la "cathosphère" après les polémiques de 2008 contre le Pape et ouverture d'un blog sur un coup de tête.Découverte quelques mois après, à la fois du metal chrétien et de la polémique contre le Hellfest. Ouverture d'un second blog (Inner Light) sur le sujet; implication graduelle dans la communauté internaute catholique (participation aux "fasm", notamment), et prise de conscience croissante de  la montée en puissance conservatrice et du durcissement doctrinal. Des fissures apparaissent dans ma foi (j'ai participé aux JMJ de 2011 pour tenter de la "regonfler").

Mi-2012 à début 2013: comme une bonne partie de la cathosphère, mon enthousiasme fait les frais du durcissement des désaccords entre nous, dans le contexte des élections présidentielles tout d'abord, jusqu'aux débuts du feuilleton "manif pour tous", en passant par les polémiques de l'été ( sur la condamnation des pussy riot et sur l'enseignement de l'Eglise catholique en matière de sexualité). Je suis franchement mal à l'aise et j'ai l'impression de jouer constamment aux équilibristes pour concilier ma conscience et ma confiance en l'Eglise.

Printemps 2013 à fin 2014: je cesse tout à fait d'avoir confiance en l'Eglise. Je quitte l'aumônerie, cesse presque totalement de me confesser et vais de moins en moins à la messe. J'envisage progressivement de devenir protestant, fréquente le culte d'une Eglise réformée, et demande conseil à une pasteure.

Janvier à novembre 2015: je décide finalement de rester catholique, et tente de reprendre une vie de prière et sacramentelle régulière. Je me rapproche de la CCBF et du comité de la jupe. J'essaie de reconstruire, intellectuellement et spirituellement, ma relation à l'Eglise, en tant que catholique critique ou "d'ouverture". La vive déception que j'ai ressentie à l'issue du synode sur la famille, et à la lecture des réactions catholiques majoritaires au coming out de Monseigneur Charamsa, ont sans doute pesé dans ce qui a bientôt suivi.

Décembre 2015 à aujourd'hui: ma foi s'écroule. Totalement. A la fois violemment et lentement, aussi paradoxale que la formule puisse paraitre. Si bien que je ne me définis plus actuellement comme chrétien. Les différents moments sont, en gros: l'après 13 novembre (aucune relation causale directe, mais , j'imagine comme la plupart des français, l'impact émotionnel et la prise de conscience de vivre dans un monde de plus en plus dangereux et incertain m'ont amené à réexaminer en profondeur mes croyances et mes priorités), la découverte fortuite du Temple Satanique, qui a constitué un énorme choc personnel pour moi, pour des raisons que je développerai ci-dessous, l'adhésion, par curiosité, puis de plus en plus par conviction, à deux organisations sataniques (le Temple Satanique, évidemment, et l'Eglise du Satanisme Rationnel) et une lassitude profonde, épidermique, de tout ce qui touche à l'Eglise catholique en particulier, et au christianisme en général, pour des raisons que je vais développer immédiatement. Ses conséquences concrètes ont été mon départ de CVX (et un gros coup de colère, rétrospectivement assez injuste, de ma part en cours d'année contre le groupe) et ma prise de distance d'avec toutes les organisations chrétiennes auxquelles j'étais encore lié.

3) Ma foi s'est donc éteinte très lentement et progressivement, mais je crois me souvenir du principal point de basculement. C'était dans le courant du printemps 2013 (je ne me souviens plus de la date précise). Un peu plus d'un an plus tard, je l'exposais dans les termes suivants:

" Cette déception qui est la mienne,[...] naît du constat suivant: comment la communauté a priori la plus chaleureuse, la mieux intentionnée, la plus âpre à la prière ou la méditation, et l'humilité, à la relecture, à l'effort sur soi-même pour devenir une meilleure personne au fil des jours, peut voir ses membres, du fait de ces mêmes efforts, de cette même pratique, se déshumaniser sur toutes les questions qui sont dans l'ombre des enseignements qu'ils reçoivent ou leur font difficulté, quittent toute empathie et toute écoute dès lors que leurs habitudes spirituelles, et les principes qui les fondent, et surtout leur vision du monde, sont remis en cause d'une manière ou d'une autre.

Je ne vise pas là spécifiquement tel ou tel paroissien rencontré IRL, sur twitter ou sur facebook. Et bien sûr, tout n'est pas noir ou blanc, et beaucoup de personnes insensibles aux problématiques de racisme, de sexisme, d'homophobie ou de transphobie qui m'affectent actuellement sont bien meilleures que moi de plein d'autres manières. En fait, la première personne que je vise, c'est le catholique que j'ai pu être quelques temps, aveuglé par une idéalisation excessive et naïve de sa foi.

Il est coutume d'insister sur l'évidence que privée d'une fréquentation hebdomadaire des sacrements,  d'une prière régulière, d'un contact fréquent avec la communauté chrétienne, la foi s'étiole. Et c'est vrai. Toutes ces pratiques cultuelles et spirituelles sont à bien des égards bénéfiques pour notre âme.  Elles renforcent notre volonté, nous détachent de soucis inutiles, nous aident à maintenir l'espérance, nous font porter un regard plus réaliste sur celles de nos limites dont nous sommes conscients.

Mais comme toutes pratiques spirituelles, et, plus généralement, comme à peu près tout sur cette Terre, elles ont aussi une part d'ombre. Elles fonctionnent aussi comme des conditionnements (même la relecture de vie et la confession), qui renforcent en nous une vision du monde qui est celle de catholiques d'une certaine culture et de certains milieux, à une certaine époque. Elles nous rendent plus attentifs à nos propres défauts, à nos propres structures de péché, mais elles tendent aussi à nous aveugler sur les limites de la manifestation particulière de l'Eglise que nous expérimentons, et sur ses structures de péché à elle. Dès lors que celles-ci sont mises en évidence par tel ou tel, nous nous rattachons à n'importe quelle justification bancale, à n'importe quel sophisme sentencieux, pour minimiser ou réfuter cette remise en cause. C'est ainsi que j'explique comment des personnes par ailleurs dotées d'une grande droiture morale, d'un grand courage personnel, et parfois rompues à la relecture de vie et à l'examen de conscience, arrivent à gober que l'Eglise aurait "un discours nuancé" sur les homosexuels, que "le lobby LGBT" est plus influent en France que celle-ci, ou que la famille bourgeoise façon 19ème siècle est une structure intangible de la nature humaine. D'une certaine manière, en pratiquant notre foi assidûment, nous troquons certaines illusions pour d'autres.

Note: je ne dis pas que les sacrements, la prière, la relecture de vie, etc... ne sont pas nécessaires à la vie spirituelle. Ce que je dis, c'est qu'il faut tenir ensemble le rappel de leurs bienfaits et la prise de conscience des illusions que leur fréquentation routinière peut engendrer.

La force de ce conditionnement, je l'ai réalisée fin 2012 début 2013, en prenant progressivement conscience que mes efforts pour persévérer dans ma foi m'amenaient plus souvent, sur certains sujets moraux, à taire ma conscience et mon empathie, plutôt qu'à les approfondir. Je ne trouve pas acceptable de prétendre tenir pour juste un enseignement moral que je suis incapable de défendre sincèrement devant des personnes qui s'estiment lésées par celui-ci. C'était le cas pour la doctrine de l'Eglise sur l'homosexualité, et pourtant, j'étais incapable de dire nettement qu'elle avait tort, je n'arrivais pas à franchir le pas, tellement j'avais attaché de prix à la belle totalité catholique, et tellement j'avais fait reposé dessus ma foi dans le Christ. Il m'a fallu lire pendant plusieurs mois les prises de positions de plusieurs personnes plus courageuses que moi, plus un événement personnel relativement brutal, pour oser franchir le pas."
Ce constat a introduit une contradiction fondamentale dans ma vie spirituelle, qui a très progressivement, mais inexorablement, détruit ma foi. D'un côté, la foi chrétienne, j'en suis toujours convaincu, a besoin d'une pratique spirituelle régulière, de rituels, de temps de prière et du contact avec, ou a minima d'un sentiment d'appartenance à une communauté, pour résister à l'usure du doute et des événements petits ou grands de la vie ordinaire. Mais d'un autre côté, j'ai développé depuis trois ans une conscience douloureuse de tout ce que ces éléments apportent en plus, souvent clandestinement.

Pour l'exprimer autrement: pendant longtemps, j'ai  cru que les transformations personnelles opérées par la pratique spirituelle étaient globalement positives, et que les écarts de conduite ou de discours observables chez certains chrétiens étaient globalement dus à leurs structures de péché personnelles, leur histoire individuelle, leur milieu, etc. A partir du moment où, à la suite des débats autour du mariage pour les personnes de même sexe, j'ai opéré ce déplacement de perspective, je me suis interrogé sur les effets négatifs de cette pratique, sur ses propres "structures de péché", si j'ose dire. Je me suis demandé, très sérieusement, très intimement, si ma pratique spirituelle n'avait pas contribué à endurcir mon coeur, à diminuer mon discernement moral, à me convaincre du bien-fondé de discours et de d'actions nuisibles, sources de souffrances, voire de morts. A partir du moment où je me suis posé cette question en ces termes, je pense rétrospectivement que c'était joué, même si j'ai tenu vaillamment plus de deux ans et demi avant de craquer. Je n'avais plus assez confiance pour pratiquer, autrement que très sporadiquement, et l'accumulation des désaccords, des disputes, des polémiques et des scandales a fini, lentement, douloureusement, viscéralement, physiologiquement même, par peser plus lourd sur ma conscience que le souvenir des bienfaits que ma conversion et ma pratique spirituelle m'avait apportés, et que le constat de tout le bien, très réel, dont les chrétiens et les institutions chrétiennes sont aussi capables.


Cette défiance à l'égard de la pratique spirituelle s'est doublée d'un réel dégoût de ce que je considère comme une forme de "système catholique", sur un plan plus intellectuel.

4) En 2000 ans d'existence, l'Eglise catholique, des communautés chrétiennes initiales à ce qu'elle est aujourd'hui, a eu à défendre la foi dont elle s'estime dépositaire face à d'autres religions ou courants de pensée, à des contextes changeants, des enjeux de pouvoir, des ambigüités théologiques qu'elle a du clarifier et des dilemmes moraux qu'elle a du résoudre.  des milliers de chrétiens, évêques, prêtres, religieux, laïcs, philosophes, théologiens et/ou saints, ont du écrire des centaines de milliers de pages pour développer, clarifier ou défendre tel point du dogme ou tel aspect de la pratique religieuse. Cette histoire intellectuelle procure à un grand nombre de catholiques un sentiment de fierté bien compréhensible, et l'assurance que ces milliers d'années de réflexion et d'élaboration doctrinale, par des esprits aussi illustres, ne peut avoir errer bien longtemps ou bien loin de la vérité, ni de Dieu. Aussi étrange ou difficile à comprendre ou douloureuse qu'elle paraisse, il y a bien une réponse catholique, juste, adéquate, et conforme au dogme et à la Tradition, à tous les dilemmes moraux.

Avec pour conséquence que ce dépôt intellectuel et spirituel qui est celui de la tradition catholique et de l'enseignement de l'Eglise est généralement présenté comme plus fiable, dans les ténèbres du doute, que les inclinations de la conscience individuelle.Bien sûr, l'Eglise catholique reconnait formellement la "primauté de la conscience individuelle", mais s'efforce tout de même de minimiser celle-ci (coucou Veritatis Splendor).

Même les catholiques plus ou moins dissidents, dont je fus plusieurs années durant, partagent souvent cette fierté collective: les dérives manifestes de l'Eglise relèvent de l'accident, et la justice de son essence. Et dans une perspective chrétienne, ce raisonnement est bien normal: si l'Eglise est la dépositaire d'une promesse faite par Dieu à son peuple, quelque part, elle transmet, ne serait-ce que par 1% de son message et de son témoignage, une vérité fondamentale pour ce monde.

Malheureusement, et douloureusement, je n'arrive plus à faire mienne cette perspective. Je suis fatigué, dégouté.

En particulier, je ne supporte plus les acrobaties intellectuelles auxquelles je me suis livrées tant d'années durant pour concilier cette espérance avec le spectacle des vies humaines que l'Eglise laisse si souvent, de manière si manifeste, doctrinale et doucereuse, sur le côté.

Ou, formulé autrement: je suis progressivement passé d'une vision top-down de la foi à une vision down-top, puis à un scepticisme grandissant, à force de constater, et d'encaisser, la contradiction entre l'universalisme intransigeant de la morale chrétienne dominante et son manque patent d'universalité. Bien sûr, de nombreux chrétiens luttent chaque jour, souvent de manière bien plus courageuse et concrète que moi, pour faire évoluer l'Eglise et la rendre plus inclusive. Et je me sens assez honteux, vis à vis d'eux, de craquer et de quitter leurs rangs. Mais j'en ai assez de devoir composer sans cesse avec ce château de carte monstrueux qu'est devenue la théologie chrétienne, de devoir dépenser des trésors d'ingéniosité pour creuser millimètre par millimètre une forteresse de déni, qui semble considérer comme une remise inimaginable de son identité et de sa foi la prise en compte d'évidences morales telles que les inégalités hommes/femmes en son propre sein et la discrimination des LGBT partout dans le monde. Je ne supporte plus non plus la séduction intellectuelle, souvent purement formelle et esthétique, opérée par la complexité et les détours de sa doctrine, qui, j'en suis convaincu, nous détournent trop souvent de l'urgence des souffrances individuelles, et des contradictions humainement intenables de la morale chrétienne, avec laquelle nous composons tous, ne serait-ce que dans le secret de nos coeurs.


5) La conviction qui est actuellement la mienne, que je ne fais qu'énoncer ici et que je tâcherai d'argumenter dans de futurs textes, est la suivante: il n'est pas possible de suivre en tous points l'enseignement de l'Eglise sous sa forme actuelle et de faire le bien. Quand j'affirme cela, je ne reprends pas l'idée classique suivant laquelle cet enseignement nous donne une direction, qui en elle-même est bonne, mais que notre condition de pécheur nous rend incapable d'accomplir pleinement. Je dis que tel qu'il est actuellement formulé, le contenu de cet enseignement, non seulement ne permet pas de faire le bien, mais qu'essayer de s'y conformer endurci le coeur et aveugle le discernement moral.

Pour dire les choses très franchement, j'en suis arrivé à penser que la doctrine de l'Eglise fonctionne, de manière quasi paradigmatique, comme une double injonction contradictoire. D'un côté, elle appelle à faire le bien, à tout donner pour Dieu et son prochain, à écouter sa conscience ("vous serez jugés comme vous avez jugés") et en faire l'examen régulièrement. De l'autre, elle demande l'obéissance, elle impose, au moins moralement, un cadre doctrinal qu'elle présente comme indissociable de l'identité chrétienne, et elle pose des principes, parfois présentés comme "non négociables", préalable au discernement dans des questions morales très complexes et qui engagent des considérations scientifiques et philosophiques sur lesquelles son expertise parait contestable. Certes, elle enrobe ces considérations de douceurs comme le discernement individuel, le principe de gradualité etc. Mais dans les faits, quand ça compte vraiment, c'est la doctrine qui a le dernier mot. L'année 2012 l'a à mes yeux prouvé. Le plus marquant pour les chrétiens favorables au projet de loi, c'était la manière dont aux yeux des chrétiens qui s'y opposaient, nous n'existions pas, nous ne pouvions pas exister. A force de râler et de publier, nous avons fini par faire admettre notre existence, mais avec l'impression d'être considérés comme des sortes de cercles carrés, des aberrations, par de très nombreux co-religionnaires. Et non, selon moi, à cause de leur dureté de coeur personnelle, de leur péché individuel, de leur méchanceté, mais au contraire du fait de leur foi, de leur dévouement, de leur désir sincère et profond d'agir pour le mieux, parce que les pratiques spirituelles et les enseignements qu'ils ont intériorisés ne leur permettent pas de voir autrement.

Cette façon de se réclamer sans cesse du "Réel", du "bon sens", de la "Nature", de la Vérité", est consubstantielle de cet enfermement sur lui-même qui caractérise désormais à mes yeux la vision du monde catholique. L'homosexualité n'est pas une relation "réelle" car elle n'est pas prévue par la doctrine. Le christianisme d'ouverture n'est pas la vraie foi car il contredit la doctrine. La réalité concrète n'est pas réelle, ce qui tombe sous les yeux est contraire au "bon sens", ce que nous montre la nature est contre-naturel, et quand l'enseignement de l'Eglise est manifestement dans l'erreur, c'est ce qui vrai qui est contraire à la Vérité. Celle-ci se définit, dans la philosophie médiévale, comme "l'adéquation de la pensée et de ce qui est". Or, défendre cette adéquation de la pensée et de ce qui est, pour nos pasteurs et activistes chrétiens contemporains, ressemble de plus à la dévalorisation systématique de ce qui est hic et nunc au nom de ce qui devrait être d'après la pensée qui nourrit leur action.

Ces injonctions contradictoires permanentes, dans la manière dont les chrétiens sont appelés à vivre leur foi par leurs pasteurs et leur communauté, est ce qui a fini par me faire craquer. Je suis revenu au catholicisme de mon enfance, à un moment où mon estime de moi était au plus bas et où je venais malgré tout de faire l'expérience de nouvelles et fortes amitiés, parce que je voulais devenir meilleur, apprendre à aimer dans les plus petites choses, surmonter mon égoïsme et devenir plus attentif aux souffrances cachées. Au lieu de cela, plus je me suis investi dans la communauté, plus j'ai tenté de me former et de vivre en conformité avec l'Ecriture, la Tradition et le magistère, et plus je me suis surpris à endurcir mon coeur et à fermer mes yeux aux souffrances d'autrui pour ne pas sortir du lot, et à jongler intellectuellement en permanence pour formuler mes dilemmes en termes acceptables pour ma conscience sans pour autant m'opposer à l'Eglise. Et quand j'ai commencé à rouvrir les yeux, j'ai été touché par la peur: des conflits avec d'anciens amis, de ne plus savoir quoi croire ni espérer, de ne plus savoir à quoi appartenir ni comment. Une souffrance bien, bien moins douloureuse que celle que vivent au quotidien celles et ceux dont l'Eglise décrète de manière "irréformable" les désirs et les tourments irréels, mais qui suffit à expliquer l'influence et l'emprise morale dont bénéficient certains charlatans et illuminés en son sein, malgré les trous de leurs discours. Ma foi est devenue source de malaise, de doute et d'irritation, voire de honte. Jusqu'au jour où elle s'est éteinte.

6) Mon rapport personnel au Christ et à l'Eglise se nourrissait des fruits que je pensais retirer de ma vie de prière, des sacrements, des expériences intérieures au cours de rassemblements et de retraites, et du ressouvenir des étapes de ce miracle que semblai avoir été mon retour à la foi. A partir du moment où j'ai commencé à me demander si cette pratique spirituelle, qui constituait la matière intuitive, "personnelle", de ma relation au Christ, avait vraiment les effets que je supposais, ou si au contraire elle ne contribuait pas au moins en partie à m'endurcir et à me couper de la vie réelle, ce "rapport personnel" est devenu de plus en plus irréel et abstrait. J'ai tenté, très longtemps, d'y voir quelque chose de comparable à la fameuse "nuit de la foi". Ensuite, j'ai essayé de voir à côté,dans des confessions chrétiennes plus ouvertes. Mais si dans le détail certaines étaient effectivement plus raisonnables, il ne me semblait pas qu'elles étaient complètement sauves de certaines des contradictions que je viens d'évoquer, au moins de manière analogue. J'ai ensuite tenté quelques mois de retourner à la fréquentation de l'eucharistie catholique, de court-circuiter mes désaccords intellectuels par l'immersion de ma pratique religieuse dans la dimension sensible de la spiritualité catholique.

Mais je n'étais plus vraiment présent dans cette démarche. Je me cramponnais au souvenir d'une vie de foi plus assurée et épanouie, qui était morte, mais qui était la seule voie que je voyais devant moi.

Quand un autre choix qui me parut mieux correspondre à mes convictions et mes aspirations s'est présenté devant moi, tout s'est écroulé. Je ne serai sans doute jamais athée: j'ai trop intériorisé, trop longtemps, l'espérance en "autre chose". Mais je suis désormais agnostique... et sataniste.

7) Voilà pour la partie "négative" de mon évolution récente: l'apostasie. Reste à expliquer la partie "positive": ce choix de m'identifier comme sataniste.

Pour comprendre, il faut d'une part connaître mon histoire personnelle (qui n'a rien d'extraordinaire et est beaucoup plus favorisée que celle de la plupart des gens, mais qui explique mon intérêt pour le satanisme) avant ma conversion au christianisme, et d'autre part ce qu'était mon état d'esprit en décembre 2015, moment du basculement.

J'ai fait toute ma scolarité secondaire dans un demi-pensionnat catholique non mixte (à part un peu au lycée).  Socialement,ma scolarité aucollège s'est globalement très mal passé; j'ai, comme beaucoup de monde, fait l"expérience du harcèlement par d'autres élèves, et je me suis replié dans un imaginaire personnel fantastique, nourri par des bandes -dessinées de super-héros et des jeux de rôles. En troisième, j'ai lu La Révolte des Anges d'Anatole France, qui m'a ouvert, pour la première fois, à une interprétation positive de la figure de Lucifer.

A partir de la fin de la seconde, mon intérêt naissant pour les films d'horreur, et surtout ma découverte de la musique metal, m'a permis de m'intégrer durablement à un groupe d'amis (dont certains de mes anciens tortionnaires). Par ailleurs, mes jeux de rôles préférés s'appelaient In Nomine Satanis / Magna Veritas, Kult ou encore Vampire la Mascarade, et m'ont introduit, sans qe j'en ai encore bien conscience, à des thématiques occulturelles. Enfin, mon année de terminale était aussi une année d'élections présidentielles, et, tant par héritage familial que par réaction contre mon milieu scolaire, que je n'avais jamais vraiment aimé, je me suis revendiqué très à gauche, avec une fascination marquée pour la figure de Lucifer le premier rebelle.

Arrivé en prépa, j'ai lu Milton, William Blake (en particulier Le Mariage du Ciel et de l'Enfer) et La Fin de Satan de Victor Hugo. Influencé par le jeu de rôle Kult, je me suis intéressé au gnosticisme chrétien, puis au polythéisme hindou. De fil en aiguille, j'en suis venu, lors de ma seconde khâgne, à m'intéresser à l'histoire de l'ésotérisme. Mais il est clair que le satanisme qui me fascinait le plus correspondait à celui du courant littéraire du satanisme romantique, dans la première partie du XIXème siècle, même si mes années prépa ont aussi été marquées par la découverte du black metal et d'un tout autre genre de satanisme, plus sombre et violent, au travers des pages du magasine Metallian, et surtout du CD promotionnel qui était systématiquement joint.

Dans les années qui ont suivi (aux alentours de 1999/2000), deux facteurs ont contribué à m'éloigner du satanisme.

La lecture d'Enquête sur le Satanisme de Massimo Introvigne, puis la consultation sur internet de sites et forums satanistes, m'a permis de me faire une idée assez précise de l'état du satanisme à la toute fin du XXème siècle. A cette époque, le darwinisme social et les sympathies plus ou moins explicites pour l'extrême-droite y étaient encore hégémoniques, en très fort contraste avec l'esprit inspiré des Lumières et de la Révolution Française du satanisme romantique. Ce qui m'a, il faut bien le dire, rebuté. En outre, même si je n'ai jamais vraiment réussi, même au cours de ma période catholique ultérieure, à me convaincre de l'existence réelle du diable, je voulais être théiste, nourri que j'étais par un imaginaire fantastique, et j'étais déconcerté par la prédominance du satanisme athée, pour lequel Satan est le symbole du libre-arbitre individuel, et n'a pas d'existence propre.

Second facteur d'éloignement: à cette époque, les livres se trouvaient et s'achetaient surtout en librairie, et j'avais beau sillonner tout Paris, je trouvais essentiellement, dans les librairies spécialisées, de l'ésotérisme chrétien, ou dérivant du christianisme. Intérêt pour l'hindouisme oblige, j'ai commencé par lire René Guénon. Puis j'ai dérivé vers Louis-Claude de Saint Martin, Franz von Baader, Jacob Boehme. Et, de fil en aiguille, je me suis mis à lire des philosophes chrétiens non ésotérisants, comme Berdiaev, puis je me suis reconverti au catholicisme et j'ai abandonné tout intérêt pour l'ésotérisme et le satanisme.

Mais cette partie de mon histoire personnelle restait en moi, et ressurgissait à l'occasion. Chaque fois que j'entendais un prêtre parler du satanisme ou du diable, ou que je lisais un exorciste, je levais les yeux au ciel. Lorsqu'en 2009 j'ai pris connaissance de la polémique autour du Hellfest, je me suis senti profondément agressé dans mon identité et mon histoire personnelles. Le blog Inner Light est né d'une volonté de surmonter cet ébranlement. Fin 2012, j'envisageais par ailleurs de me remettre sérieusement à l'étude du satanisme, et de consacrer l'année 2013 à l'écriture de plusieurs billets sur le sujet. Mais j'ai été rapidement été happé par le débat sur le mariage pour tous, et ne me suis plus préoccupé du sujet avant fin 2015.

8) Et fin 2015, j'avais vraiment beaucoup changé, comme les lecteurs réguliers de ce blog le savent bien. Je me raccrochais désespérément aux derniers lambeaux de ma foi, j'esquissais dans certains billets, comme celui où je critiquais Nos Limites, une réflexion sur la place de l'empathie dans le jugement moral. J'essayais de défendre, à mon modeste niveau, les droits LGBT. J'étais très inquiet pour la situation des musulmans dans les pays occidentaux.

Et voilà que je tombe sur un tweet du chapitre de Minneapolis du Temple Satanique, une organisation toute récente que je ne connaissais pas, qui propose d'accompagner des musulmans pendant leur trajet s'ils le désirent, pour les prémunir d'agressions. Cette initiative était un peu impulsive et pas très bien organisée, et elle a été invalidée par la direction du Temple Satanique, mais elle m'a personnellement beaucoup ému, comme visiblement des milliers d'autres personnes, y compris chrétiennes.

Du coup, j'ai creusé,. J'ai été sur leur site voir à quoi ils ressemblaient et ce qu'ils disaient, et là, j'ai TOUT trouvé: l'accent mis sur l'empathie, le militantisme féministe et LGBT, l'influence manifeste du satanisme romantique, le rejet du darwinisme social. Même la référence à Anatole France. Mes préoccupations actuelles et l'accomplissement inattendu de mes rêves de jeunesse.

Bien évidemment, je suis aussitôt devenu membre. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? J'étais membre d'une religion dans laquelle je me sentais mal, où j'étais presque constamment en désaccord avec les opinions dominantes, où je me sentais de plus en plus pris au piège. Et d'un seul coup, je me trouvais face à une autre religion où je me retrouvais complètement, où je me sentais naturellement inséré.

L'hostilité de certains contacts catholiques à mon intérêt renouvelé pour le satanisme m'a piqué au vif, et a achevé de consommer la rupture.

Pour autant, ce n'a pas été la fuite ou la solution de facilité que certains semblent voir dans mon choix. J'ai payé un prix. J'ai du renoncer à l'espérance, sinon l'espoir, d'une vie éternelle, à un moment où précisément il devient de plus en plus dur de maintenir l'illusion quotidienne de notre immortalité. Je fais désormais partie d'une religion minoritaire particulièrement détestée, à un moment où les droits individuels semblent en recul et l'autoritarisme politique est en forte croissance. Donc, pour tout dire, et ça a largement contribué au caractère tardif de mes révélations publiques, tout cela me fait quand même un peu peur.

J'ai passé l'année, comme tout le monde l'a remarqué, à lire sur le satanisme, et je suis devenu rapidement membre d'une autre organisation, l'Eglise du Satanisme Rationnel, beaucoup plus visiblement inspirée par LaVey, où les présupposés du darwinisme social sont encore perceptibles, et dont les dirigeants sont très peu fans du Temple Satanique, et c'est le moins que l'on puisse dire, mais dont j'aime les efforts pour efforts pour dépasser le dogmatisme et les ambigüités disons, théologiques, de l'Eglise de Satan, et pour concevoir une doctrine à la fois cohérente et "boîte à outils", qui soit adaptable aux opinions personnelles et au "système individuel" de chaque membre, plutôt que de contraindre ceux-ci à accepter des idées qui leur sont extérieures ou à partir, comme c'est le cas dans tant d'autres organisations religieuses. J'y reviendrai dans un futur billet, sur un futur blog.

Car je ne compte pas publier de nouveaux billets dans les prochains mois sur ce blog, ou sur Inner Light. Je continuerai par contre à alimenter Occulture. Mais mon blog principal sera Chroniques Sataniques, qui n'est pour l'heure accessible que par moi, mais que je compte ouvrir ce week end. Vous y trouverez, dans un premier temps, une bibliographie introductive sur le satanisme, une traduction des FAQ du Temple Satanique et de l'Eglise du Satanisme Rationnel, une courte présentation de mon parcours, et un billet sur ce que j'entends exactement quand je prononce le mot "satanisme".

Ave Satanas !

(Oui, les satanistes ont eux aussi leur latin d'Eglise, avec une conception toute particulière des déclinaisons ;-) )

mardi 5 avril 2016

Bibliographie rapide et sommaire d'introduction au satanisme et aux "Satanism studies"

 Suite à mon précédent billet sur le même sujet, pour celles et ceux d'entre vous qui s'intéresseraient à la réalité (et à la diversité) du satanisme moderne (qui fêtera, soit dit en passant, ses cinquante ans le 30 avril prochain), et que ce soit pour le défendre, le combattre ou juste vous informer, voici une bibliographie introductive, faite en amateur, tant sur la forme que sur le fond, et qui ne se veut donc pas du tout exhaustive. Juste de quoi débuter, quand même, sur des bases beaucoup plus solides que les vidéos Youtube sur le Nouvel Ordre Mondial et les "abus rituels sataniques", les livres de Jacky Cordonnier ou de Paul Ariès, ou le fameux rapport de la MIVILUDES sur le sujet (un désastre qui a été à juste titre vivement critiqué). Et découvrir qu'à quelques très notables exceptions près, le milieu satanique est souvent beaucoup plus divers, apaisé et respectueux de l'ordre social qu'on ne le croit. Et que quelques soient les critiques qu'on peut adresser à tout ou partie des discours et pratiques en son sein, il n'y a rien à gagner pour personne à entretenir à son sujet des peurs diffuses et des rumeurs non ou mal sourcées.

Concernant les textes de satanistes, j'ai tenté de faire dans la variété, dans les limites de ma subjectivité  et de mes connaissance. Du coup, ma bibliographie comporte aussi bien des textes fondamentaux que d'autres beaucoup plus anecdotiques, mais qui illustrent des sensibilités différentes, qu'il m'a paru intéressant de mentionner, pour ne pas tout noyer sous l'Eglise de Satan et le Temple de Set.

J'ai délibérément omis certains livres et sites célèbres, rattachés à des organisations néo-nazies et/ou qui me paraissent cautionner des actes criminels, pour des raisons légales et éthiques évidentes. L'étude par J. C. Senholt citée plus bas constitue un exemple d'analyse universitaire d'une telle organisation.

Je n'ai pas tout lu, loin de là, notamment en ce qui concerne les études à 100 euros et plus, mais j'ai bien avancé.

Je modifierai bien évidemment au fur et à mesure cette liste, le cas échéant, en fonction des retours éventuels de lecteurs mieux informés que moi.

Textes de satanistes (ou de membres d'organisations du "Left Hand Path"):


 Célèbre mais très contesté par les principaux concernés
par l'actuel Grand Prêtre de l'Eglise de Satan
par la responsable du chapitre de Seattle du Temple Satanique

Sites de satanistes:

Theistic Satanism, le site de Diane Vera
Satan Service
Grey Faction , section du Temple Satanique dédiée à la lutte contre les "pseudosciences" à visée thérapeutique (régression par hypnose etc.) et les "paniques sataniques".
Spiritual Satanist
Satanic Views
Ash Astaroth
Vexen Crabtree
Rat Holes, blog français tenu par des auteurs non satanistes, si j'ai bien compris (membres de l'Eglise Gnostique Chaote) mais consacré au Left Hand Path, et en particulier à la "Tradition Sinistre" (The Order of Nine Angles et ses satellites. Je préfère me faire écarteler plutôt que de traduire "sinister" par "senestre") et au satanisme anti-cosmique (Temple of the Black Light etc.).
Sin City Satanism (blog désormais inactif d'une ancienne sataniste spiritualiste, proche de Diane Vera)

Fora:

The 600 Club
SatanNet (forum semi-officiel de l'Eglise de Satan)
The Friends of Satan (forum du Temple Satanique)

Réseaux sociaux:

Satanic International Network (S.I.N.)

Vlogs:
Venus Satanas
Satanic International

Etudes universitaires sur le satanisme:

Ancien mais classique

Anthologie d'articles
A paraitre en juillet 2016
Réponse au rapport catastrophique de la MIVILUDES
Sur la "satanic panic" des années 1980
Sur la "satanic panic" des années 1980

Semble-t-il épuisé

Sur le Dragon Rouge, une organisation du "Left Hand Path"
Jacob C. Senholt, The Sinister tradition. Political Esotericism & the convervence of Radical Islam, Satanism and National Socialism in the Order of the Nine Angles, Trondheim, 2009

Articles:

Cimminnee Holt, "Satanists and Scholars: A Historiographic Overview and Critique of Scholarship on Religious Satanism,"Concordia University, 2012

Cimminnee Holt, "Death and Dying in the Satanic Worldview", 2011

James R. Lewis, Asbjorn Dyrendal, Jesper Aagard Petersen, "Old Nick on the 'net: on Satanic Politics", 2015

Jesper Aagard Petersen, ""Smite him hip and thigh": Satanism, violence and transgression", Trondheim, 2009

Old Nick on the ‘net: on Satanic politics
Asbjorn Dyrendal, "Satan and the Beast: The Influence of Aleister Crowley on Modern Satanism"
 Per Faxneld, "Secrets Lineages and De Facto Satanists: Anton LaVey's Use of Esoteric Tradition"
Jesper Aagaard Petersen, "From Book to Bit: Enacting Satanism Online"
Chapitre "The Angels of Satan"

PAS sur le satanisme, mais comme les gens confondent (n'est-ce pas, la MIVILUDES?):

L'étude de référence sur la Wicca

vendredi 25 mars 2016

"Je déteste Pâques"


Cette affirmation introduit le dernier billet d'Ash Astaroth, un membre du Temple Satanique.

"I hate Easter. It reminds me of cheap suits and asphyxiating neck ties, fiery extra long sermons and people eager to show public penance in exchange for popularity and approval. Easter is a bunch of grown ass adults playing dress up and making a spectacle of themselves in churches while reaffirming their fears of the Others out there. Easter is polyester navy blue and stern looks from red faced preachers with bulging veins in their angry xenophobic foreheads. Easter is adults bawling about some mythological sacrifice and how it enriched and empowered them personally while the whole world burns down around them. On Monday they’ll return to their lives with gasoline and matches."
Ash Astaroth a été élevé dans une communauté baptiste, par une mère initialement peu pratiquante, puis de plus en plus dévote et prosélyte.  L'évolution rapide de cette dernière vers une vie de foi faite de contraintes et d'interdits, son propre scepticisme grandissant, nourri par sa passion de la lecture et sa curiosité pour les sciences, et aussi la prise de conscience de son homosexualité, ont fait naître et ont alimenté en lui un rejet profond du christianisme.

Il donne quelques exemples des expériences personnelles qui sont pour lui associées à cette religion: sa mère était assez souple concernant son absentéisme scolaire, mais était intraitable concernant la présence au culte. Chaque dimanche, le pasteur condamnait dans sa prédication  les forces démoniaques qui corrompaient l'Amérique: les féministes, les homosexuels, les athées, les démocrates etc. Ash Astaroth assistait à ces offices vêtu en punk, et à la fin de chacun d'entre, lorsque le pasteur invitait les paroissiens qui le désiraient à venir témoigner de leur conversion et prier avec lui à l'autel, il était destinataire des regards insistants de nombre de fidèles.

Sous le toit familial, deux sujets concentraient tous les interdits: la sexualité, et l'occultisme. Ash s'intéresse très tôt, sans doute en réaction, à ce dernier (avant de devenir athée, et il l'est devenu à 14 ans) et profite des rayons "étonnamment" bien remplis de la bibliothèque scolaire sur ce sujet. C'est ainsi qu'il découvre Aleister Crowley, etc.

A 17 ans, il entend parler par hasard de l'Eglise de Satan, et commande par correspondance la Bible Satanique.

Sans surprise, ses relations avec sa mère se détériore de plus en plus. Elle menace de l'envoyer dans un camp de redressement pour mineurs. Il finit par partir le jour où elle lui affirme que son homosexualité est le fruit d'une possession démoniaque. Beaucoup plus récemment, sa mère lui a demandé de passer pour l'aider à repeindre une partie de sa chambre. Il s'agissait en fait d'une ruse: un prédicateur l'attendait pour lui parler de la Bible et de Jésus. La réponse fut ferme:

"You can read out of that book till your face turns blue, but like I’ve told you several times now, I don’t believe in those fairy tales and repeating them won’t change that."
Et toute cette aversion pour la foi chrétienne, pour cet univers perçu comme un lieu de rejet de la différence, de déni du monde réel, et d'hypocrisie, s'est concentré, dans l'esprit d'Ash Astaroth, sur une fête: Pâques. Il va jusqu'à considérer comme une mission personnelle d'en détourner le sens et de la paganiser.

Pour ma part, mon expérience personnelle de la période de Pâques est très différente. Enfant, je n'y comprenais pas grand chose, malgré les cours de catéchisme, et je l'associais surtout aux oeufs en chocolat et aux cloches. Adulte, et revenu à la pratique religieuse, Pâques est devenu l'aboutissement du Carême et de tout un itinéraire: l'introspection et la remise en cause du mercredi des cendres, et l'occasion (la peur aussi) de se confesser. Les efforts maintenus (ou non suivant les années) pendant plusieurs semaines. Les Rameaux, et l'arrivée du printemps (de mon anniversaire et de celui de ma mère aussi, avec ce que cela suppose de célébrations familiales). La semaine sainte enfin: la messe chrismale (le mardi dans mon diocèse), et le triduum pascal: l'angoisse du jeudi saint, la sécheresse et l'attente du vendredi saint et de la journée du samedi, et enfin l'apothéose de la vigile pascale. Pâques, pour moi, c'est donc un moment de fête, qui correspond à certains de mes meilleurs souvenirs (et aussi le moment où je relâche certains efforts, il faut bien le dire).

J'avoue que cette année, ça ne s'est pas trop passé comme ça, et que j'ai plutôt traversé une période de retrait, et même de prise de distance, par rapport à la pratique religieuse. J'espère qu'elle ne durera pas.

Il est évident aussi que la communauté et la famille dans lesquelles Ash Astaroth a grandi semblent assez extrêmes, et que les choses se passent beaucoup mieux dans pas mal de communautés chrétiennes, toutes dénominations confondues (mais pas dans toutes, il faut aussi le reconnaître).

Malgré ces souvenirs beaucoup plus positifs, je ne vais pas aller "évangéliser" Ash Astaroth, même si je situe très bien son compte Twitter, son profil Facebook, son blog (évidemment), et un forum auquel il participe. D'une part parce que je suis sûr à 100% qu'une telle tentative serait très mal reçue. D'autre part parce que je me sentirais hyper condescendant d'aller lui expliquer que mes expériences ont plus de réalités et de poids que les siennes, que ma vie dit davantage la réalité du christianisme que la sienne, et qu'en faisant confiance à ma mémoire et à mon intelligence tout ira tellement mieux pour lui, alors que vu de l'extérieur, le sataniste qu'il est devenu semble beaucoup plus heureux et épanoui que l'adolescent baptiste qu'il était. Il est grand: il vit sa vie et il lui appartient de décider en son âme et conscience de ce qu'il est, de ce qu'il vit, de ce qu'il veut être et de ce qu'il veut vivre. Comme nous tous.

Et on touche ici au propos central de ce billet. Plus encore que les crispations doctrinales, ce qui me met si mal à l'aise, dans le témoignage rendue par une partie importante du christianisme français contemporain (toutes sensibilités confondues, d'ailleurs), c'est son rapport à la "joie". Il n'y a rien de mal à être joyeux, ni à vouloir partager cette joie. Le problème apparait lorsqu'on commence à penser que ce qui nous procure de la joie procure de la joie à tout le monde. Que ce qui est bon pour nous est bon pour tous, et que ce qui est mauvais pour nous, ou qui nous fait souffrir, en va de même pour tout le monde. Lorsqu'on commence à confondre notre identité de croyant avec l'essence de la foi. Lorsqu'on en vient à penser qu'il suffit de "montrer" notre joie, comment on est bien tous ensemble, combien on est heureux, ou plus heureux, grâce à notre vie communautaire, pour lever les "préjugés" sur le christianisme. Quand, lorsque quelqu'un semble prendre ses distance, ou avoir un problème avec notre joie, il faut "l'aider", éventuellement "l'écouter", ce qui se résume trop souvent à essayer de trouver comment le persuader de partager notre joie. Quand la joie devient intrusive, en somme, et quand elle commence à ressembler un peu trop à la tyrannie du groupe.

Quand j'écris ça, j'essaie de circonscrire une impression générale qui est la mienne, et que je porte depuis un certain nombre d'années. Je n'accuse personne en particulier, et je ne dis pas que tous les catholiques y cèdent tout le temps. Il y a aussi des témoignages de joie qui relèvent d'autres vies. Mais ce qui marche pour les uns peut produire des effets catastrophiques sur les autres, et mon problème n'est pas tant avec la joie, ou la communauté, qu'avec la joie ou la communauté comme recette d'évangélisation.

Symétriquement, je ne fais pas du témoignage d'Ash Astaroth un archétype du parcours et des motivations de l'apostat ou du sataniste. Ce blogueur commence à se faire connaître pour ses critiques virulentes envers le satanisme laveyen (à la lecture, la Bible Satanique ne l'a pas tant enthousiasmé que ça), et il incarne la frange féministe, pro LGBT, sociale et égalitariste du Temple Satanique qui a fait fuir plusieurs membres de la première heure (par exemple ici et ici) attachés au darwinisme social et à l'élitisme de LaVey. Si je peux me retrouver jusqu'à un certain point dans ce satanisme "de gauche", plus enclin à se réclamer d'Anatole France et de William Blake que de LaVey, Aquino ou même Crowley, je suis, inversement, persuadé que plusieurs des fondamentaux du satanisme de l'Eglise de Satan sont beaucoup moins éloignés de la vision du monde de beaucoup de chrétiens que les uns et les autres ne le croient. Un de mes fantasmes (qui ne restera qu'un fantasme: l'Eglise de Satan ne rigole pas avec le respect du droit d'auteur) est d'ouvrir un blog avec un titre bien réac, genre "Debout Fille aînée de l'Eglise!", et de publier des billets qui seraient des copiés-collés des passages plus politiques ou "sociétaux" de la Bible Satanique, de Paroles de Satan! ou des Carnets du Diable de LaVey, ou encore des Ecritures Sataniques de Peter H. Gilmore, expurgé des passages explicitement satanistes. Un logiciel en grande partie similaire, fondé sur le rejet de l'égalitarisme, le conservatisme social et une certaine méfiance envers les institutions démocratiques devraient valoir à ce blog un certain succès, avant que quelqu'un ne finisse par découvrir la supercherie. Le satanisme est un mot qui recouvre des discours et des pratiques qui ont certes une histoire, certains symboles, et certains précurseurs en commun, mais qui semblent de plus en plus divers et distendu. Même le rejet commun du christianisme recouvre des points de vue très hétérogènes, voire mutuellement incompatibles. La sataniste "polythéiste" Diane Vera (inactive sur internet depuis fin 2012) identifie explicitement comme son ennemi la droite chrétienne évangélique, et semble considérer les chrétiens d'ouverture comme des alliés potentiels dans son combat. Inversement, des satanistes attachés à l'éthique de laveyenne de l'égoïsme bien compris, à son anthropologie pessimiste, naturaliste et élitiste, peuvent être beaucoup plus reboutés par ce christianisme soft, qui valorise la faiblesse et le sacrifice de soi, que par des déclinaisons plus martiales et identitaires. Le satanisme n'est pas une identité, ni même une communauté, mais un parapluie qui recouvre un certain nombre de symboles communs/disputés et d'intersections, dans des trajectoires parfois profondément différentes.

Et de manière évidemment différente, rencontrer le Christ arrive à des personnes avec des histoires, des habitudes et même des principes complètement différents, à des moments qui correspondent à des expériences parfois très dissemblables, et la foi qui naît de cette rencontre s'entretient de manière très différente suivant les personnes et les sensibilités. L'exemple de la prière me semble assez parlant: certains catholiques sont très attachés au chapelet. Personnellement, je suis complètement hermétique à cette pratique, mais je suis très sensible à l'oraison ignatienne que certains ne supportent pas.

Pour redéfinir mon malaise à la lumière de cette digression, il me semble que la manière la plus répandue aujourd'hui d'annoncer la joie de la Bonne Nouvelle de Pâques, d'évangéliser, est la suivante: il y a un cadre, un certain modèle de vie en commun, d'activités, de pratiques, de discours, un certain milieu, qui correspond à nos expériences de foi, à nos souvenirs les plus joyeux, aux moments où nous avons eu le sentiment de toucher Dieu du doigt, ou de l'apercevoir du coin de l'oeil. Et je ne parle pas ici de réalités institutionnelles, dogmatiques, liturgiques ou sacramentelles, mais des formes particulières qu'elles prennent quotidiennement pour nous, dans notre paroisse, notre famille, notre vie spirituelle individuelle: la paroisse, ses têtes et ses lieux connus. L'abbaye où on a l'habitude de faire une retraite. L'homélie ou le témoignage qui nous ont marqués. Les souvenirs d'aumônerie ou de scoutisme, de Frat, de JMJ. Auxquelles elles ne s'identifient pas mais qui ne sont jamais complètement dissociables d'elles dans notre mémoire. Et l'idée, c'est que toute la joie reçue dans ce cadre constitue une sorte d'exemple, d'archétype, et qu'en communiquant cette joie, on va d'une part donner envie, mais également fournir un modèle, dont l'imitation mènera au Christ.

Et ça a très bien marché pour un certain nombre de personnes. Et nombre de chrétiens développent des versions respectueuses et ouvertes de ce modèle. Mais ce cadre, ces formes, ne sont ni le Christ ni les sacrements ni l'Eglise, mais des assaisonnements qui plaisent à certains palais, en dégoûtent d'autres. Et il me semble que le problème du christianisme "décomplexé" de notre génération, peut-être plus profondément que les questions politiques ou doctrinales, est que ces assaisonnements en sont venus à définir, dans notre esprit, une "identité" chrétienne et une sorte d'essence de la foi.

C'est du moins comme ça que je comprends aujourd'hui, au moins en ce qu'ils ont de récurrents et de politiques, les nombreux appels, constamment répétés, ressassés, d'évêques, de prêtres, de laïcs, à nous montrer en tant que catholiques, à "ne pas avoir peur", à communiquer notre mode de vie, notre vision du monde, à ne pas "négocier" sur les principes, à manifester (sous tous les sens du terme) notre "joie". Il me semble qu'il y a là l'idée qu'en montrant ce que nous sommes, nous donnerons envie au monde de nous ressembler, de nous imiter, et que par cette imitation, il rencontrera le Christ. Et qu'inversement, en cédant sur ce que nous sommes, en acceptant l'idée qu'il y a d'autres manière d'être chrétien, ou que notre "être chrétien" n'est pas pleinement chrétien, nous cédons à l'auto-flagellation, à "l'enfouissement", quand ce n'est pas au relativisme.

Le problème, de mon point de vue, c'est que ce que nous sommes, c'est d'une part tout ce que nous sommes, y compris ce qui n'est pas du Christ, et d'autre part, ce n'est rien d'autre que ce que nous sommes. Le Christ est, suivant notre foi, "le chemin, la vérité et la vie". Mais pas nous, quand bien même nous témoignons du meilleur, ou de ce que nous percevons comme le meilleur, de nous même. La foi chrétienne n'est pas une identité, mais naît d'une rencontre. Et ce n'est pas la joie extérieure qui fait la qualité de cette rencontre, mais la persévérance dans l'attente et la prière. Il n'y a rien de mal à dire que rencontrer le Christ nous rend heureux, et de nombreuses personnes se sont converties parce qu'elles goutaient cette chaleur humaine et cette sensation de faire partie d'une communauté. Mais pour d'autres, dont la foi se vit dans la nuit, ou dans la crainte et le tremblement, ou dans la douleur, ou qui se sentent heurtées dans leur identité propre par certaines prises de position de l'Eglise, non seulement le Christ que nous annonçons n'est pas leur Christ, qu'ils l'aient rencontré ou pas, qu'ils y croient ou pas, mais il ne peut en aucun cas le devenir. Pour certains peut-être parce qu'ils se sont murés dans le péché. Mais pour d'autre, tout simplement, parce que la "joie" qui leur est présentée comme venant du Christ est une joie qui est celle d'autres vies, qui parle à d'autres vies, qui n'est pas leur vie, voire qui est incompatible avec leur vie. On dit qu'"un chrétien seul est en danger", mais parfois, c'est d'être au milieu d'autres chrétiens qui torpille sa foi, ou l'éteint peu à peu.

Cette manière d'évangéliser "marche", mais je crois qu'elle est vouée à échouer avec certaines personnes, voire à les détourner de la foi. Qu'annoncer le Christ, tel que celui-ci nous l'a demandé, c'est finalement autre chose.

C'est pourquoi je m'efforce de comprendre, pour ma part, cette demande qui nous a été faite d'"annoncer l'Evangile" comme une forme de maïeutique, si je puis dire, comme une façon de permettre à une personne "extérieure" de mettre en évidence, sur la base de sa propre expérience, un besoin éventuel, ou une présence, ou quoique ce soit qui serait la manière dont le Christ lui parle, sans nécessairement lui donner de modèle particulier et avec un minimum de prescriptions, à leur rythme. De lui donner toutes les clés pour être chrétien s'il le désire, sans trop m'avancer sur ce que devrait être "être chrétien", ce qu'au fond personne ne sait vraiment, en ce bas monde. Faire confiance en sa relation avec le Christ, plutôt que d'encadrer cette dernière au sein du groupe. Ce qui reste hyper vague dans ma tête, et encore plus dans ma pratique personnelle, mais me permet de prendre mes distances avec mon malaise. Cette manière d'évangéliser existe aussi tout à fait dans l'Eglise catholique, par exemple, et depuis longtemps, et ne me parait pas du tout incompatible avec sa structure propre et ses principes et rites,  mais il me semble que l'accent est aujourd'hui (beaucoup trop) mis, dans la presse catholique, les blogs, les communications institutionnelles, sur "Regarde comme on est bien tous ensemble. Viens faire comme nous, tu vas voir, tu te sentiras tellement mieux!". Certaines connaissances, dans ma paroisse, ne cessent de mettre l'accent sur le fait qu'on doit paraitre heureux, montrer notre joie aux gens qui viennent à la messe de temps en temps, ne pas les laisser tous seuls dans leur coin.J'apprécie, sincèrement, la générosité que ce discours traduit, mais certains jours, il finit par me paraitre violent. Cette tendance étant à mon sens partagée, avec des formes évidemment très différentes suivant les cas, par les tradis, les chachas, les progressistes etc.

Je ne prétends pas dans ce billet réinventer la poudre, ni délivrer de grande condamnations, et je ne doute pas que la réalité soit infiniment plus nuancée et subtile que cette impression générale que j'ai. Mais voilà,ce propos liminaire d'Ash Astaroth: "je déteste Pâques", m'a heurté dans les souvenirs que j'ai de ma vie de foi, mais il a aussi fait écho à une profonde inquiétude en moi. Et je voulais vous rendre compte de ce paradoxe.

Et tout de même:

Joyeuses Pâques pour celles et ceux qui vivent cette fête en cette fin de semaine! :-)

Et bon week end prolongé pour les autres! :-)


Post scriptum: aucune mise en perspective ou allusion particulières dans le fait que ce billet s'ouvvre sur un morceau d'un groupe sataniste, et s'achève sur celui d'un autre chrétien. J'aime bien les deux, c'est tout.

dimanche 28 février 2016

Périls sur un monde sans complexité



Jean-Michel Castaing nous a gratifié récemment dans les Cahiers Libres d'un de ces billets "vache qui rit" qui font fureur dans la cathosphère.

Qu'est-ce qu'un billet "vache qui rit"?

Un billet qui dénonce "les vérités au rabais", le nivellement des valeurs, le "tout se vaut", le conformisme intellectuel, la victoire du prêt à penser et de la communication sur la réflexion et la recherche patiente et silencieuse de la vérité, et qui est lui-même d'une médiocrité et d'une banalité sans nom.

J'envisage de rendre un service essentiel à la communauté catholique en me formant à la programmation informatique, afin de développer un logiciel de génération automatique de billets. Ca ne changera pas grand chose à la qualité générale des articles de pas mal d'auteurs: il suffira de veiller à ce que des mots clés tels que "relativisme", "perte de la transcendance", "matérialisme", individualisme", "indifférenciation", "transmission", "le Beau, le Bon , le Vrai" structurent l'argumentaire développé, et les blogueurs récupéreront un temps très précieux pour méditer en silence, visiter des musées, faire des retraites, profiter de l'air pur de la campagne, et se tenir enfin éloignés de ce monde de la technique, du commentaire en temps réel de l'information par le tout venant, et de la communication instantanée qu'ils affectent tant de condamner.

Je suis méchant, je sais, et oui je reconnais qu'il y a des blogueurs catholiques y compris très orthodoxes, qui font beaucoup mieux que ce texte, et non, ça ne me fait pas plaisir de tenir ce genre de propos, même si ça défoule. Mais vu le climat politique actuel, je perds patience face au simplisme et aux analyses de comptoirs, qui, quelles que soient la bonne volontés et les intentions généreuses de leurs auteurs, ont des effets politiques qui participent au chaos actuel.

Passons aux choses sérieuses: qu'est-ce que je reproche à ce billet (qui s'appelle "Périls sur un monde sans verticalité", d'où le titre de mon article)?

Au cours de ma modeste carrière administrative, j'ai été (un tout petit peu) initié, dans des formations sur l'hygiène et la sécurité, et sur le management, à un outil qui s'appelle "l'arbre des causes".

L'arbre des causes est une méthode d'analyse et de prévention des accidents par arborescence conçue dans les années 1970 par l'INRS. L'idée centrale est qu'un accident n'a jamais qu'une seule cause, mais résulte de la convergence d'une multitude de petits et gros problèmes, conjoncturels et structurels. L'arbre des causes représente cette convergence sous la forme d'un schéma, et permet d'isoler chacune des causes afin de travailler individuellement sur chacune d'entre elle, petite ou grande, sans en omettre aucune. Il permet ainsi d'éviter que l'arbre cache la forêt, et que, par exemple, un problème flagrant ou une explication séduisante ("cette installation est vétuste", "il ne fait jamais attention"...) n'aboutisse qu'à une explication superficielle et à des remèdes peu ou pas efficaces.

Ca peut donner quelque chose comme ça:

(Source: http://hse.iut.u-bordeaux1.fr/lesbats/H-arbre%20des%20causes/ADC.HTM)

Lors d'une formation CHSCT, la consultante qui animait la session nous a raconté qu'une fois, une personne à qui elle enseignait cet outil lui a rendu un arbre avec une seule cause, et qu'elle a failli tout arrêter et changer de voie professionnelle. Elle enjolivait sans doute, mais cette anecdote éclaire bien ce que ne doit pas être l'analyse d'un accident.

Je ne connais pas grand chose au terrorisme ni à l'islamisme radical, mais j'imagine que les vrais experts professionnels qui travaillent sur ces sujets utilisent des méthodes analogues.

Par contre, je remarque que la plupart des commentateurs extérieurs, qu'ils soient politiques, journalistes, blogueurs ou même universitaires, cèdent souvent (moi aussi à mes heures) à la tentation de tout faire découler d'un problème "fondamental". Peut-être par souci de radicalité philosophique, ou d'en l'espoir de s'inscrire dans une "métapolitique", voire parce qu'ils ont du mal à faire la différence entre leur marotte préférée et la réalité ("vous voyez, je vous l'avais bien dit!").

Ici, c'est la verticalité, mais ailleurs, ça pourrait être le post-colonialisme, les dynamiques religieuses propres à l'Islam ou le capitalisme. Toutes questions qui peuvent éventuellement trouver une place dans l'arbre des causes, mais qui ne sont en aucun cas LA cause.

Du coup, le billet de Jean-Michel Castaing ne manque pas, lui, de verticalité, et c'est bien le problème. Il fait très "verticalité" de la tour d'ivoire.

Il se présente comme une sorte de mécanique implacable, qui, en partant d'une "caractéristique majeure" de notre société, déroule de manière linéaire un grand nombre de conséquences, qui, aux yeux du simple mortel que je suis, apparaissent pourtant sans rapport entre elles (le jihadisme et le transhumanisme, ça s'explique de la même façon, sérieusement?). Et pour cause, puisqu'il s'agit d'une pure construction intellectuelle rétrospective. En fait, l'auteur procède exactement à l'inverse de la méthode de l'arbre des causes: au lieu d'expliquer un seul problème par un ensemble complexe de causes, il explique un ensemble complexe de problèmes par une seule cause.

Avec deux conséquences fâcheuses: il donne d'une part l'impression d'une grille de lecture arbitraire plaquée sur la réalité. Ce genre de billet sur l'oubli de la transcendance fait toujours plaisir aux croyants, mais je n'y vois aucun argument susceptible d'ébranler un lecteur convaincu, par exemple, que les violences actuelles découlent de la religion, quelle qu'elle soit, et que la solution est une laïcité plus stricte et un scepticisme de principe contre toute transcendance (en fait, je ne suis pas du tout sûr que cet article comporte ne serait-ce qu'un seul argument en bonne et due forme). D'autre part, Jean-Michel Castaing vient nous faire le diagnostic d'un mal complexe et très concret, en critiquant "l'angélisme" (donc l'éloignement des réalités concrètes) de la gauche, mais lui-même se cantonne à des pétitions de principes très générales et très vagues. Le "social" et la "lutte contre les discrimination" ne sont sans doute pas non plus ni LA cause ni LE remède, mais au moins, ce sont des problèmes observables sur lesquels on peut essayer de travailler des solutions concrètes. L'oubli de la verticalité, ce n'est pas une analyse politique susceptible d'éclairer la prise de décision, mais une posture idéologique d'arrière-plan pure et simple, et, pour tout dire, de l'enfumage rhétorique. Je ne suis pas spécialiste, mais je ne vois pas quelle analyse de terrain on peut mener avec des considérations aussi générales.

Voilà quel est le problème principal que me pose ce billet. Je ne vais pas aller plus loin dans son analyse. D'une part, parce que ce que j'ai relevé est déjà grave: nous vivons dans une époque très dangereuse de fébrilité et pour tout dire de panique des politiques de tout bord et de nos concitoyens, et ce billet, au lieu de poser calmement les problèmes dans toute leur extension et leur complexité et d'informer, ne fait qu'ajouter à la confusion générale. D'autre part parce que ça m'énerve.

Je vais quand même ajouter une digression rapide, en guise de teaser pour des publications futures, . Dans ces lamentations, partagées par de nombreux auteurs catholiques, mais aussi par plusieurs papes, sur le "chaos spirituel", "l'individualisme" qui "érige chaque opinion en une croyance respectable", "l'immanentisme", il y a certes le constat d'un recul d'influence de l'institution catholique, d'une certaine prédominance de logiques économiques et industrielles dans la réflexion politique et dans la vie quotidienne etc. Mais il y a aussi la prise en compte diffuse de la progression culturelle, certes encore marginale, mais rapide, de formes de spiritualités concurrentes, souvent centrées sur l'individu et très méfiantes envers les institutions et les savoirs établis. Ce que les universitaires qui étudient ces nouvelles spiritualités et ces nouvelles religions appellent "l'occulture" (l'auteur de ce néologisme est Christopher Partridge).

Là encore, dans l'arbre des causes qui mènent à la vie telle que nous la vivons aujourd'hui dans nos sociétés occidentales, c'est une réalité qui mérite en effet d'être examinée attentivement.

Le problème, c'est que les catholiques se contentent généralement de mépriser cette occulture, sans chercher à en comprendre la formation et les lignes de force, et qu'ils tirent de ce mépris un sentiment bien illusoire d'évidence de leurs propres fondamentaux, là où les lignes de faille de ces dernier ont en partie (pas seulement, évidemment) contribué au succès de ces spiritualités "contre-culturelles".

Les chrétiens aiment souvent se moquer du bricolage des religions néo-païennes. Mais la plupart des wiccans admettent aujourd'hui que leur religion a été très vraisemblablement fabriquée à partir de diverses sources par Gérald Gardner dans les années 1940, et ont fait le deuil de l'hypothèse d'une lignée ininterrompue et clandestine de sorcières remontant au Moyen-Age, à quelques véhémentes exceptions prêt. Et la plupart des néo-païens "reconstructivistes", qui cherchent à faire revivre les paganismes antiques, sont conscient de l'impossibilité de les recréer, ou même de les connaître, à l'identique, tels qu'ils étaient à l'origine, et du fait qu'ils injectent un certain nombre d'idées et de présupposés modernes dans les démarches. Les catholiques, s'ils bénéficient quant à eux d'une transmission ininterrompue depuis la naissance de leur religion, réalisent trop peu souvent qu'ils ne cessent de la recréer au fil des générations, et des que dess principes qu'ils croient "traditionnels" et "constants" sont souvent étroitement liés à des considérations contemporaines, qui n'ont parfois que quelques décennies d'existence.

L'un des quelques principes qu'ont en commun la plupart des composantes du "milieu satanique (l'expression es de Jesper Aagard Petersen) est l'auto-déification. Et ce principe rend effectivement le transhumanisme sympathique aux yeux de divers satanistes. Mais avant de s'indigner de cette convergence, peut-être est-il utile de s'interroger sur ce que l'anthropologie catholique, ou au moins l'image qu'elle donne, a de si insatisfaisant pour nos contemporains, pour que des contre-propositions aussi radicales aient pu devenir séduisantes.

C'est parce que toutes questions, et bien d'autres qui y sont liées, me paraissent importantes et trop souvent ignorées que je suis en train de monter, à mon modeste niveau d'amateur, un blog de réflexion sur ces sujets, et spécifiquement sur le satanisme et le néo-paganisme. Sans idéalisation excessive: si on me demande quelle est pour moi la nourriture intellectuelle la plus solide, du Livre des Ombres de Gérald Gardner ou du De Trinitate de Saint Augustin, je répondrai évidemment le De Trinitate.

Mais je pense qu'on ne se prépare pas mieux aux "défis" de la modernité en s'interdisant d'approfondir ses aspects les plus polémiques, qu'on défend bien mal la raison ou la "vérité" en limitant le champ de l'enquête rationnelle aux sujets "respectables", et qu'on ne construit pas de manière solide le bien "commun" en vivant dans le mépris.

Ca va encore paraitre pour certains comme une nouvelle excentricité de ma part. Mais je ne connais rien au terrorisme, je suis nul en économie, et c'est sur ce sujet, aussi marginal qu'il puisse sembler que j'ai l'impression de pouvoir apporter, à mon très modeste niveau, des éclairages utiles sur notre vie dans nos sociétés modernes, même si je n'en suis nullement spécialiste.

Et notre époque a bien besoin de réflexions approfondies et qui font réfléchir, sur la base connaissances maîtrisées et amassée patiemment sur le terrain, de ce genre:


 (source: Christopher Partridge, "Occulture is ordinary", dans Contempory Esotericism, dirigé par Egil Asprem et Kennet Granholm, Equinox 2013, Routledge 2014 )

Plutôt que de ce type de jugement flamboyant mais à vide:

"Une société qui se reconnaît fondée sur une transcendance est une société qui relativise le temps présent, ainsi que ses idoles. Elle ne pense pas que son fonctionnement immanent soit la fin propre de toute chose. Une instance surplombante (qu’on la nomme Dieu, ou d’un tout autre nom) lui rappelle qu’il existe une vérité capable de juger la marche du monde. Tel n’est pas le cas d’ un monde clos sur lui-même. Celui-ci vit au contraire replié sur lui-même, en régime d’immanence pure, voué qu’il est au relativisme généralisé. En son sein, chacun s’accommode avec sa propre vérité, qu’il bricole dans son coin, ou qu’il accueille de maîtres autoproclamés sur le marché de plein-vent « religieux » ou philosophique.
L’absence de toute transcendance aboutit à la dissémination de « vérités » au rabais. L’individualisme érige chaque opinion en croyance respectable, légitime, parfaitement autorisée à revendiquer pour elle le statut envié de « vérité ». Sans verticalité reconnue, l’arbitraire règne en maître des esprits. L’absence de transcendance signifie qu’il n’y a plus de supériorité, que le Beau et le Vrai sont laissés à l’appréciation de chacun. Au final, l’immanence pure accouche d’un monde sans ordre légitime. Tout se vaut. Rien ne dépasse." (Jean-Michel Castaing, op. cit.)

L'important n'étant pas d'être pour ou contre quoique ce soit, mais de réfléchir sur la base d'une connaissance le plus possible de première main des réalités dont on parle, et de leur complexité irréductible aux pétitions de principes,  en s'abstenant de tout aplatir par des jugements de valeur généraux et simplistes.

dimanche 13 décembre 2015

Pourquoi j'ai beaucoup moins peur du satanisme que de la peur du satanisme.



Ce billet ne porte pas sur le mal effectivement à l'oeuvre dans l'actualité, sur lequel je suis bien incapable d'apporter des éclairages utiles, mais sur une certaine conception présente dans l'enseignement de l'Eglise d'une part, et, surtout, dans l'esprit de beaucoup de catholiques d'autre part, et qui a trait à la croyance en l'existence du diable et aux phénomènes de possession, ainsi qu'au regard porté sur les personnes et les organisations qui se réclament aujourd'hui du satanisme.

La motivation immédiate de billet est de répondre à certaines réactions, notamment sur Twitter à mon précédent billet sur Inner Light, qui portait sur le Temple Satanique, et à des extraits que j'ai diffusés du livre The Invention of Satanism (que j'ai fini de lire et dont je prépare un résumé détaillé sur Inner Light).

1) Mon rapport personnel au satanisme:

Une motivation plus lointaine, mais aussi plus viscérale, tient à mon histoire personnelle. J'ai d'assez mauvais souvenirs de ma scolarité dans un établissement privé catholique sous contrat, pour différentes raisons, mais dont certaines ne sont pas étrangères à son caractère confessionnel, et à sa manière de le mettre en oeuvre. J'ai commencé à écouter du metal à la fin de la seconde, pour des raisons essentiellement musicales et amicales. Par contre, à l'issue de la terminale, fin 1995, j'avais accumulé un profond ras-le-bol vis-à-vis du milieu catholique tel que je l'avais connu au collège et au lycée, et vis à vis de l'Eglise en tant qu'institution. Et quand je me suis mis à m'intéresser au black metal, c'est principalement en raison de sa coloration "satanique". J'ai acheté mon premier numéro de Metallian parce que sa couverture, et les noms des groupes qui y étaient cités, renvoyaient aussi  à cet univers "diabolique". Le CD promotionnel de 25 titres avait certes accroché aussi mon regard, mais à l'époque, je n'avais jamais écouté de black, et une mauvaise expérience avec un album de death un an avant (sur le coup, le chant guttural m'avait rebuté) m'inspirait plutôt une forte prévention, sur le plan musical, même si les premiers morceaux m'ont fait changer d'avis quasi instantanément. Il reste que la première chose que j'allais regarder, lorsqu'un nouveau numéro de Metallian sortait, à l'époque tous les trois mois, c'était les interviews des groupes les plus manifestement satanistes, dans l'espoir de les voir détailler leurs croyances et m'informer (par contre le néo-paganisme m'ennuyait). A l'époque, si j'avais eu internet et si j'avais su comment devenir sataniste, je le serais sans doute devenu.

Trois ans plus tard, je lisais Enquête sur le Satanisme de Massimo Introvigne, qui a beaucoup fait pour démystifier à mes yeux le satanisme organisé, et dissoudre la dimension merveilleuse et fascinante qu'il avait encore un peu pour moi.  Le satanisme théiste (celui qui affirme l'existence réelle de Satan, souvent selon une conception assez éloignée de celle chrétienne: pour moi, à l'époque, le Temple de Set et la Confrérie de la Flèche d'Or) m'inspirait encore une vague curiosité, mais je rejetais complètement le satanisme athée d'Anton LaVey et de l'Eglise de Satan post-"schisme" de 1975. Lorsqu'un an plus tard j'ai eu accès à internet et ai pu en profiter pour consulter des sites satanistes, et les parfois nombreux textes qui y étaient disponibles gratuitement, j'étais tellement peu convaincu que ma mon reste de fascination eut vite fait de se dissiper.Mais à l'époque, je revenais lentement à la foi chrétienne, via notamment la lecture de Kierkegaard, de Boehme ou de Berdiaev.



De la première période de fascination, je garde une forme de compréhension, voire d'empathie, pour certains des types d'état d'esprit et de parcours qui peuvent conduire tel ou tel à se dire sataniste. De la seconde, je retiens une approche démystifiée et consciente de la diversité, du caractère souvent groupusculaire, et du contenu doctrinal, souvent (pas toujours) beaucoup moins sulfureux et inquiétant qu'on l'imagine, du satanisme organisé, qui a eu pour double conséquence que je me méfie profondément du statut d'épouvantail qui lui est conféré par beaucoup d'observateurs chrétiens, et que je préfère approcher les discours et les actes de satanistes au cas par cas plutôt que de les combattre en bloc.


2) Satanisme, possession et existence du Diable:

Un tropisme chrétien m'énerve encore plus que les autres, parce qu'il a la double propriété d'esquiver l'examen factuel des organisations satanistes telles qu'elles existent, et de reposer sur des associations d'idées qui me paraissent parfaitement arbitraires et gratuites. Il s'agit du lien très souvent établi entre satanisme et phénomènes de possession.

Même si l'activité d'un certain nombre d'organisations satanistes apparaît de l'extérieur assez peu redoutable, elle serait tout de même très dangereuse parce qu'elle attirerait sur leurs membres l'attention de forces qu'il vaudrait mieux ne pas réveiller. Et de faire le lien avec les phénomènes de possessions démoniaques et les phénomènes d'apparence extraordinaire décrits par certains catholiques, et notamment par des exorcistes.

C'est en substance la position du père jésuite James Martin, face aux provocations pourtant assez potaches et aux principes inhabituellement (pour des satanistes) consensuels du Satanic Temple:

"These people have no clue what kind of forces they are dealing with. In my life as a Jesuit priest, and especially as a spiritual director, I have seen people struggling with real-life evil. In the Spiritual Exercises, his classic manual on prayer, St. Ignatius Loyola, the founder of the Jesuits, calls this force either the “evil spirit” or “the enemy of human nature.” Sophisticated readers may smile at this, but this is a real force, as real as the force that draws one to God. Moreover, there is a certain identifiable sameness about the way that the “enemy” works in people’s lives. I have seen this. And, after all, Ignatius’s comments reflect not only his own experience in prayer, but also his experience in helping others in the spiritual life. He was even able to describe some of the ways that the evil spirit works, and this also jibes with my experience: like a spoiled child (wanting to get his way); like a “false lover” (wanting us not to reveal our selfish motivations and plans); and like an “army commander” (attacking us at our weakest point). Pope Francis has also spoken frequently about the presence of evil in the world and of Satan. Again, some may laugh or roll their eyes, but the pope is, again, speaking about something that is not only part of Christian belief, but quite well known among spiritual directors.
In other words, I’m describing not only my belief, but my experience. Evil is real. How Satan fits into this, I’m not exactly sure, but I believe that a personified force is somehow behind this. There is a certain “intelligence,” if you will, and a sameness, as St. Ignatius identified. As C.S. Lewis said about Satan, “I’m not particular about the horns and hooves, but yes I believe.” Me too.
So while the Satanic Temple may smile at their victory, and the mainstream media might chuckle at the “Gotcha” moment vis-à-vis other religious groups (If the Ten Commandments, then why not Satan?) my fear is directed in another place. I recall all those stories I read and heard about Satan, and I think: You have no idea what you’re dealing with.
You are playing with fire."
Non seulement ce texte me donne envie de pulvériser ma table avec ma tête, mais il me semble qu'on peut assez facilement retourner à l'envoyeur le compliment final.

Comme la plupart des interprétations chrétiennes du satanisme, il me parait connecter de manière arbitraire des phénomènes disparates, dans une espèce de flou où ils sont censés prouver la dangerosité de ce dernier, alors même que leur mise en relation n'a de sens que si celle-ci est présumée d'entrée de jeu.

Qu'il y ait indiscutablement du mal dans le monde n'implique pas, pour commencer, qu'il y ait un Mal personnifié. J'entends cependant l'argument suivant lequel l'affirmation de l'existence personnelle du Diable permet de décharger l'homme de la responsabilité de l'existence du mal, même si je pense qu'en pratique, elle mène souvent à des résultats complètement contraires (j'y reviendrai). J'entends également le témoignage d'Ignace de Loyola, d'autant plus que les Exercices Spirituels ont occupé une place importante dans ma vie spirituelle. Je suis d'ailleurs membre de CVX depuis 2009. Il reste que les passages sur le "mauvais esprit" m'ont toujours semblé être l'un des aspects les plus faibles de son oeuvre. Le constat que plusieurs forces ou pulsions coexistent et s'affrontent quotidiennement en nous n'entraîne pas que certaines soient des personnes. J'entends enfin que l'Eglise considère l'existence du Diable comme faisant partie de la "foi révélée", puisque de nombreux passages des deux testaments, ainsi que des témoignages de saints, font référence à des démons et des cas de possession. Il me semble que ces références, et encore plus l'interprétation unificatrice qui en conclut à l'existence personnelle de Satan, ont une histoire, et qu'elles ne signifient pas toujours la même chose suivant les textes, mais passons. Jouons au bon chrétien et admettons pour le reste de ce billet que le Diable existe.

Même si le Diable existe, cela n'implique pas que les phénomènes d'apparence extraordinaire interprétés par les chrétiens comme des signes du démon soient réellement d'origine surnaturelle. Entendons nous bien. On me dit que des personnes très dignes de foi, très intelligentes et cultivées, très prudentes, témoignent de tels phénomènes. Je suis d'autant mieux disposé à le croire que j'en connais moi-même plusieurs. J'en ai même défendu une sur Inner Light en 2011. Cela dit, l'expérience montre qu'on trouve des personnes très bien et très compétentes qui adhèrent à absolument toutes sortes d'idées ou d'analyses, si tant est que celles-ci s'intègrent dans leur vision du monde et leurs principes de pensées ou ne s'y opposent pas, quand bien même elles ne seraient pas démontrées ni même probables. Et je considère comme un principe élémentaire de la pensée de ne jamais recevoir comme une preuve la parole, même de personnes dont la bonne foi et la lucidité sont au dessus de tout soupçon, sans s'être assuré au préalable que l'interprétation qu'elles donnent ou suggèrent n'est pas contredite par une autre interprétation aussi ou davantage vraisemblable, ou utile, ou féconde. Qu'elles aient effectivement constaté un événement qui mérite qu'on s'y attarde est une chose, que je suis tout à fait disposer à admettre. Que l'accueil bienveillant et ouvert de ce constat implique la validation des présupposés métaphysiques, moraux, religieux, qui sous-tendent l'interprétation suggérée, aussi improbable ou risquée qu'elle puisse paraître, voilà quelque chose de très différent, que je suis pour ma part très peu disposé à accorder. Que par exemple une personne qui connait très bien certains courants de pensée de l'occultisme soit à la fois encline à y relier telle expérience insolite qu'elle a vécue, et suffisamment armée pour donner un cadre cohérent à cette interprétation, ne me dissuade nullement de chercher d'autres explications, peut-être moins séduisantes, mais tout aussi cohérente et plus vraisemblables. Ou alors, si nous devons nous ouvrir intellectuellement, tirons-en toutes les conséquences. Des personnes très bien sous tout rapport, très cultivées (et j'en ai rencontrées aussi) trouvent des raisons de croire, non seulement aux récits de possessions, mais également à l'astrologie, l'ufologie, l'alchimie et tous les courants de l'ésotérisme et de la parapsychologie, qui ne me paraissent ni plus défendables, ni plus indéfendables, que les récits de possession démoniaque. Pour justifier la lutte contre le "relativisme moral", tellement prisée par certains exorcistes et dénonciateurs chrétiens du satanisme, consolidons donc le relativisme intellectuel et scientifique. Franchement, pourquoi pas? Mais autant être clair et cohérent jusqu'au bout.

Admettons cependant le caractère surnaturel de tels phénomènes. Il apparaît tout à fait gratuit d'y lire une quelconque origine diabolique. Un prêtre que j'ai beaucoup fréquenté à une époque, très mesuré, qui n'a rien d'un menteur ni d'un exalté, me racontait, dans le cadre d'une discussion sur les exorcistes, qu'il avait vu, en Afrique, une personne vomir des clous ou quelque chose de ce genre (je ne me souviens plus des détails). Je crois profondément, sincèrement, en sa bonne foi. Et j'admets que ce récit est très étrange, et fait même un peu peur. Pour autant, j'ai vraiment beaucoup de mal à voir en quoi il démontre de quelque façon que ce soit l'existence des démons ou du diable, même en lui reconnaissant, ce que je vais faire pour les besoins, uniquement, de ce billet, un caractère surnaturel. Vomir des clous, c'est bizarre, c'est sûr, et sans doute très mauvais pour la santé. En quoi est-ce que cela favorise les plans du Mal, plus par exemple qu'un cancer ou un accident d'autoroute? Le surnaturel ne prouve pas davantage l'existence d'un mal personnifié que la nature. On peut très bien imaginer un mal surnaturel aussi impersonnel et aléatoire que celui observable dans la nature: des accidents de la surnature, en quelque sorte. Pour voir dans les phénomènes surnaturels une preuve de l'existence personnelle du diable, il faut dédoubler la définition du mal d'une manière qui est extrêmement problématique, mais j'y reviendrai plus bas.

Mais supposons qu'il existe, de manière observable, des phénomènes surnaturels d'origine diabolique. Le lien privilégié que tant de chrétiens, dont le père James Martin, s'accordent à leur trouver avec le satanisme organisé, apparaissent tout à fait gratuits et arbitraires. Un article publié en janvier 2013 sur le site catholique Aleteia affirme que "bon nombre de personnes qui souffrent d’une possession diabolique ont déjà accompli des rites nécromantiques ou sataniques". J'aurais d'autant plus aimé que cette affirmation s'appuie sur des données précises et vérifiables, que les témoignages de possession semblent émaner beaucoup plus souvent de chrétiens que de satanistes. En fait, s'il est vrai que le satanisme théiste tend, ces dernières années, à se consolider, il s'apparente plus à une forme de néo-paganisme qu'à la conception chrétienne qui sous-tend les cas de possessions, et la plupart des satanistes ne croient pas à la conception du diable et des démons véhiculée par cette dernière, comme le montre une série d'enquêtes universitaires menées auprès d'échantillons représentatifs de satanistes par James R. Lewis, professeur d'études religieuse à l'université de Tromso en Norvège, respectivement en 2001 ("satanic survey" SS-1), 2009 (SS-2) et 2011 (SS-3):

(source: The Invention of Satanism, Dyrendal, Lewis, Petersen, 2015, ed. Oxford University Press, Ch. 8).

Je doute que les satanistes et les exorcistes se fréquentent beaucoup, et je pense qu'une bonne partie de l'expérience de terrain des seconds, qui alimente le discours de l'Eglise sur le Diable, provient de rencontres avec des "possédés" foncièrement croyants (l'exorciste du diocèse de Savoie accueillerait des personnes de "toutes religions", mais pas satanistes, qui sembleraient davantage craindre un envoûtement par une personne extérieure que les conséquences de pratiques satanistes personnelles. Selon un exorciste américain en 2000, la majorité des personnes venant voir un prêtre pour un exorcisme sont catholiques). Comment prétendre que les satanistes sont une population particulièrement exposée à la possession démoniaque alors que la plupart des cas cités ne sont pas satanistes? En ce sens, les "rites" évoqués manifestent moins à mes yeux, sauf preuve à venir du contraire, une relation entre satanisme et possession, que la culpabilité ou l'angoisse, voire l'auto-persuasion, de personnes religieuses ou superstitieuses (je ne confonds pas ces deux termes) qui recherchent auprès de l'exorciste la validation d'un diagnostic qu'elles ont elles-mêmes posé d'emblée, après peut-être un ou deux écarts de conduite par rapport à leur éthique personnelle. En tout cas, toutes les fois que j'ai lu des témoignages d'exorcistes, ce qu'ils disait du satanisme oscillait entre caricatures vagues, erreurs factuelles  et délires diffamatoires. Pour m'en tenir aux données observables que j'ai pu réunir en fréquentant de manière parallèle des sites chrétiens et des sites satanistes, les préoccupations des premiers sur les risques de possessions démoniaques semblent très éloignées des expériences mentionnées par les seconds (sans aller jusqu'à dire que tout ce qui y est discuté parait très sain ou équilibré), a fortiori dans des organisations rationalistes et sceptiques comme le Temple Satanique, mis en cause explicitement par le père Martin. Enfin, j'imagine que si le Diable existe, il connait son boulot et est suffisamment subtil pour ne pas s'en prendre prioritairement aux personnes étiquetées "satanistes" (ça en ferait un "Prince des Mensonges" étonnamment franc et transparent). La relation posée entre culte sataniste et possession apparaît comme une construction rétrospective, destinée aussi bien à prouver la validité des diagnostics de possession des exorcistes par l'existence de cultes satanistes officiels (qui, la plupart du temps, n'adorent pas le diable au sens donné par l'Eglise catholique), que la nocivité de ceux-ci par les premiers, sans qu'aucun lien factuel convainquant ne soit pour autant établi. Il s'agit à mes yeux d'une pure interprétation idéologique.

Quand bien même ce lien entre satanisme organisé et possessions démoniaques serait avéré, il n'en résulterait pas qu'il serait universel et nécessaire. Un examen, même superficiel, des organisations satanistes existantes, montre la grande diversité de leurs croyances et de leurs pratiques. Comment croire que des causes différentes aboutiraient systématiquement aux mêmes effets? Même en admettant, ce que je refuse de faire en l'état, que des organisations sataniques soient de manière indiscutable en relation avec un Mal personnifié, on ne pourrait en déduire que c'est le cas pour toutes. La nécessité demeure d'un examen au cas par cas, et lorsque par exemple une organisation sataniste prône la justice sociale et la compassion, et tente de venir en aide aux populations discriminées, comme c'est le cas du Temple Satanique, évacuer ce genre de paradoxes apparents d'un revers de main, et se borner à rappeler des positions de principe générales sur le satanisme, est tout à fait insatisfaisant, intellectuellement et moralement.

Enfin, même si on allait jusqu'à soutenir, au delà des positions du père Martin, l'idée que toute organisation sataniste, et tout individu membre de l'une d'elle, non seulement en spécialement en danger sur le plan spirituel, mais de plus est maléfique, il resterait que nul n'est totalement mauvais, de même que nul n'est totalement bon, et que le péché et la grâce s'entremêlent dans la vie et l'âme de chaque sataniste au même titre que dans celle de chaque chrétien. Il resterait donc nécessaire d'aborder leurs actes et leurs propos au cas par cas, par delà les grandes positions de principes.

On voit donc que les préventions chrétiennes usuelles contre le satanisme organisé et les satanistes présupposent un grand nombre d'affirmations qui non seulement sont toutes très incertaines individuellement, mais dont les relations mutuelles sont loin d'être manifestes. En fait, ce qui unifie cette nébuleuse d'hypothèses semblent être la peur et l'imagination, qui les relient par cette même idée de ce que serait la vérité cachée du satanisme, et qu'elles sont cependant censées prouver. on aboutit donc à une parfaite circularité de la lecture chrétienne du le satanisme, la preuve présupposant ce qu'elle prouve pour fonctionner.

Encore pourrait-on faire l'économie, à titre méthodologique, de toutes ces difficultés, si véritablement, s'y arrêter reviendrait à "jouer avec le feu", pour reprendre l'expression du père Martin, s'il y avait plus à perdre, socialement, moralement et spirituellement, à rester sceptique qu'à croire a priori à cette dimension surnaturelle du satanisme. Mais éviter de jouer avec le feu, est-ce asservir son jugement aux "peut-être", aux "on ne sait jamais", aux "pourquoi pas?", aux "il n'y a pas de fumée sans feu", à la spéculation doctrinale à vide, ou examiner l'histoire telle qu'elle nous est accessible pour y repérer des voies sans issues ou au contraire des nuances qui échappent aux grands principes ou les déplacent suivant des perspectives nouvelles? Pour tout dire, j'ai beaucoup de mal à concevoir les dangers évoqués par le père Martin sans faire appel à la fiction, et je vois dans certains de ses présupposés, qu'il n'interroge nullement, des problèmes anciens, dont l'Histoire passée a manifesté à plusieurs reprises le caractère ô combien néfaste.

3) Les difficultés morales et théologiques de la position chrétienne sur le satanisme:

Sur le principe, ce qui m'est le moins compréhensible dans la doctrine chrétienne sur l'existence réelle du Diable, le satanisme, la possession démoniaque, etc. est la manière dont elle conduit à scinder le jugement sur le bien et le mal en deux. Il me semble que loin d'éclairer le "mystère du mal", pour parler en langage catho, elle conduit à le dédoubler et à l'obscurcir.

Passons par un cas concret. Celui d'une mère de famille dont le fils, homosexuel, s'est suicidé parce qu'il ne supportait plus la condamnation sociale de son homosexualité, et que le chagrin, et la rancoeur contre les positions homophobes des grandes religions traditionnelles, ont amenée à intégrer le Temple Satanique:



Cette mère de famille, au travers du décès de son fils, est victime d'actions objectivement mauvaises (le harcèlement, la discrimination, l'insulte) auxquelles se livrent chaque années de nombreux chrétiens (même si l'Eglise catholique, indépendamment de son discours très critiquable sur l'homosexualité, condamne de telles actions), et qui ruinent chaque année la vie de très nombreuses personnes. Je ne soupçonne aucunement le père Martin de minimiser ou d'ignorer la gravité de tels actes, lui qui s'est beaucoup plus investi que moi, et de manière beaucoup plus exposée, pour les combattre. Mais ni lui ni moi ni, à ma connaissance, personne dans l'Eglise, ne parle spontanément du diable, des démons, du "mauvais esprit" d'Ignace, du feu obscur avec le quel on jour, pour mettre en garde contre le harcèlement, la discrimination, même le meurtre homophobe. On dira plutôt que des êtres humains ont fait du mal, parfois de manière irréparable, à d'autres êtres humains, et que cela est bien suffisant pour les condamner.

Par contre, une mère qui est clairement la victime de telles actions, qui est même la victime, pour aller plus loin, de certaines structures de péché du christianisme, parce qu'elle ale malheur de gérer son chagrin, et sa révolte contre celles-ci, de rejoindre le Temple Satanique, une organisation qui se décrit comme sataniste mais qui a un discours fondé sur la solidarité et la justice sociale auquel n'importe quelle organisation de gauche pourrait souscrire (et même un certain nombre de droite), "joue avec le feu", ne "sait pas à quelles forces elle a affaire", méconnaît l'existence du "mal", alors que c'est au contraire parce qu'elle en a fait l'expérience directe qu'elle en ait arrivé là pour commencer.

J'entends que le mal dont il est question ici est celui d'entités surnaturelles, et non d'êtres humains. u'il ne s'agit pas nécessairement d'affirmer que les satanistes commettent eux-même le mal, mais qu'ils attirent sur eux l'attention de créatures mauvaises. Qu'il y a un mal humain et un mal surnaturel. C'est justement là que j'ai un gros problème. Je ne comprends ni la nécessité théologique et morale de cette notion de mal surnaturel, ni son évidence. D'une part, il semble que ceux qui en défendent l'existence se fondent essentiellement sur des ressentis et une poignée d'expériences bizarres, sans aucun lien manifeste avec l'existence d'un Mal personnifié, encore moins avec le satanisme, si ce n'est la conviction individuelle des personnes qui sont exposées à ces phénomènes. D'autre part, elle introduit une ambiguïté considérable dans le jugement moral, et encore plus largement dans les rapports des églises chrétiennes à la société contemporaine. Puisque l'on a finalement affaire à deux "mal" qui ne se recoupent pas, et sont clairement de nature différente. D'une part, un mal humain, celui des personnes méchantes, des criminels, des manipulateurs, des corrompus, des voleurs, et de tous ceux qui sont animés par la haine ou l'avidité, qui appelle une condamnation morale, et éventuellement le pardon, mais que même les chrétiens relient de nos jours rarement à la figure du Diable, à part les plus traditionalistes. D'autre part un mal surnaturel dont la plupart des gens ont une idée vague et indirecte, mais qui semble avoir la fâcheuse habitude d'être attiré par les personnes qui ont des centres d'intérêt ou des opinions avec le mot "Satan" dedans, quelque soit le contenu réel de ces derniers, ou la nature de leurs actes et de la vie qu'elles mènent. Satan se moque comme de son premier T-shirt de Mayhem des terroristes et des mafieux et des trafiquants de drogue, mais le jeune adulte qui lit LaVey dans son coin, ou l'organisation de gauchistes qui trolle la droite religieuse avec sa figure, ça, ça l'intéresse. Satan est une attention whore. Plus sérieusement, je ne vois pas ce qu'apporte cette figure du diable de plus que la notion de péché, et j'y vois beaucoup d'obscurités et d'inconvénients.

Ou alors, comme certains, on voit des complots satanistes derrière chaque organisation criminelle ou extrémiste, ou derrière chaque homme politique ou d'affaire controversé. Ceux de mes lecteurs qui ont conservé des liens un peu solides avec le monde réel peuvent réaliser par eux-mêmes, je pense, à quel point ce genre d'attitudes est source de confusion et de "perte de repères", si je puis oser, une fois n'est pas coutume, ces termes galvaudés. J'y reviendrai d'ailleurs plus bas.


Certains diront que de toute façon, le satanisme fait l'apologie de l'ego, de l'individualisme et du "chacun pour soi", et citeront la première des neufs affirmations sataniques de la Bible de Satan: "Satan représente l'indulgence, plutôt que l'abstinence!" (mais, pour nuancer un peu: "l'indulgence... pas la compulsion", comme il est expliqué dans la deuxième partie de la Bible de Satan, le "livre de Lucifer").


(Les "sept principes fondamentaux" du Temple Satanique, très moyennement maléfiques comme chacun peut le constater)

Sur le principe, tant ma sensibilité chrétienne que celle que j'ai en tant qu'électeur de gauche font de moi un fervent défenseur de l'altruisme, de la compassion, de la solidarité, contre l'égoïsme et l'esprit de compétition et de domination. Dans les faits, la réalité du satanisme est loin d'être aussi simple. D'une part, quelle positions adopter alors envers des organisations récentes comme le Temple Satanique, ou encore The United Aspects of Satan, qui défendent, contre l'Eglise de Satan, l'importance de la compassion, de l'empathie et de l'engagement social au service d'autrui? D'autre part, il convient aussi de faire la critique d'une certaine condamnation de "l'individualisme" par l'Eglise catholique. D'une part, parce qu'elle tant à s'accompagner d'une certaine injonction mortifère, quand elle n'est pas caporaliste, à "l'humilité", qui conduit souvent davantage à enfermer les consciences dans des paradoxes insolubles plutôt qu'à les épanouir et les aider à discerner, comme je l'exposai dans un précédent billet. D'autre part, parce qu'il est parfois bon d'affirmer son individualité et sa confiance en ses facultés, comme l'angoissé quasi maladif que je suis n'en n'a pas assez conscience.

Ainsi, Lilith Starr, la responsable du chapitre de Seattle du Temple Satanique, expose dans un livre récent, The Happy Satanist, son parcours personnel, pour le moins édifiant. Elle y raconte sa dépression, ses douleurs chroniques insupportables. Comment ces problèmes, couplés à une addiction à l'héroïne, lui ont fait perdre une excellente situation professionnelle, et s'isoler de plus en plus. Comment aussi, après avoir rencontré son conjoint, ils se sont tous les deux retrouvés de nombreux mois à la rue. Comment enfin, après qu'ils aient fini par retrouver un hébergement, et qu'elle luttait à nouveau contre la dépression, toute la journée dans sa chambre, elle a fini par ouvrir l'exemplaire de la Bible de Satan de son mari, qui contrairement à elle était sataniste, et y a trouvé de quoi trouver la force de prendre enfin confiance en elle et de se battre pour vivre et être heureuse, et de se libérer définitivement de la drogue. Depuis, elle est une sataniste active et militante, et elle est heureuse. Je suis loin pour ma part d'avoir un souvenir aussi positif de la Bible de Satan, que j'ai lue et dont je possède deux exemplaires (un en français et un en anglais), et je n'irais pas la distribuer à la sortie de centres de désintoxication. Mais jamais je n'irais jamais dire à cette femme qu'elle joue avec le feu et que ma pratique des exercices spirituels d'Ignace de Loyola me permet de comprendre mieux qu'elle ce qu'elle vit. Et je ne laisserais pas non plus des chrétiens lui tenir ce discours en ma présence sans réagir.



Enfin, certains souligneront, à juste titre, que beaucoup de satanistes pratiquent la magie. Tous ne le font pas, notamment dans les organisations rationalistes type Temple satanique, et une partie importante de ceux qui le font la considèrent comme un "psychodrame", une mise en scène destinée à susciter des effets psychologiques (ils s'autorisent du discours ambigu de la Bible de Satan à propos de la magie, même si plusieurs universitaires, et beaucoup de proches de LaVey, considèrent que celui-ci croyait véritablement en la magie). Mais il est vrai que les satanistes occultistes semblent demeurer une majorité:



                                             (source: The Invention of Satanism, op. cit.)

A titre personnel, je désapprouve fortement la pratique de ma magie. Soit son efficacité est nulle (ce que je pense), et elle asservit la pensée et la volonté et dissout la raison. Soit elle est réelle, et il semble alors s'agir d'une activité assez dangereuse. Dans tous les cas, je la désapprouve, comme je désapprouverais qu'on commence la journée avec un demi-litre de rouge au petit déjeuner, chaque matin. Comme une activité malsaine et aliénante, mais qui ne rend pas une personne mauvaise comme le ferait, par exemple, un meurtre ou un vol, et qui ne justifie certainement pas l'opprobre particulière dont les satanistes sont souvent victimes. Beaucoup d'autres personnes ou groupes beaucoup moins mal vu s'intéressent à l'occultisme, et la conception magique que se font certains chrétiens de la prière ou des sacrements, notamment certains particulièrement effrayés par le satanisme, ne me parait pas beaucoup plus saine.

Certains vont me répondre que même en admettant toutes les difficultés que je viens d'exposer, compte tenu des "risques" que représenteraient l'existence réelle du diable et sa relation avec les organisations satanistes, la position que je combats vaut néanmoins de s'engager à sa suite . Je réponds que ces risques supposés palissent devant la nocivité avérée pour le bien commun de la peur irraisonnée du satanisme. Ce qui va faire l'objet de la quatrième et dernière partie de ce billet.


4) La dangerosité sociale et politique de la position chrétienne sur le satanisme:

Il y a une période de l'histoire récente qui, peut-être plus que la Bible de Satan ou l'intérêt pour l'occultisme, me parait constituer une caractéristique identitaire importante du satanisme contemporain: la mémoire d'un phénomène social qui a marqué la vie américaine du débat des années 1980 au milieu des années 1990, et qu'on a appelé "the satanic panic", ou encore "the satanist ritual abuse scare". Le cofondateur et porte-parole du Temple satanique, Lucien Greaves (alias Doug Mesner) y consacre d'ailleurs son blog personnel.

"Satanic ritual abuse (SRA, sometimes known as ritual abuse, ritualistic abuse, organised abuse, sadistic ritual abuse and other variants) was the subject of a moral panic that originated in the United States in the 1980s, spreading throughout the country and eventually to many parts of the world, before mostly diminishing in the late 1990s. Allegations of SRA involved reports of physical and sexual abuse of people in the context of occult or Satanic rituals. In its most extreme form, SRA involved a supposed worldwide conspiracy involving the wealthy and powerful of the world elite in which children were abducted or bred for sacrifices, pornography and prostitution.Nearly every aspect of SRA was controversial, including its definition, the source of the allegations and proof thereof, testimonials of alleged victims, and court cases involving the allegations and criminal investigations. The panic affected lawyers', therapists', and social workers' handling of allegations of child sexual abuse. Allegations initially brought together widely dissimilar groups, including religious fundamentalists, police investigators, child advocates, therapists and clients inpsychotherapy. The movement gradually secularized, dropping or deprecating the "satanic" aspects of the allegations in favor of names that were less overtly religious such as "sadistic" or simply "ritual abuse" and becoming more associated with dissociative identity disorder and anti-government conspiracy theories.
The panic was influenced to a large extent by testimony of children and adults that were obtained using therapeutic and interrogation techniques now considered discredited. Initial publicity generated was by the now-discredited autobiographyMichelle Remembers (1980), and sustained and popularized throughout the decade by the McMartin preschool trial. Testimonials, symptom lists, rumors and techniques to investigate or uncover memories of SRA were disseminated through professional, popular and religious conferences, as well as through the attention of talk shows, sustaining and spreading the moral panic further throughout the United States and beyond. In some cases allegations resulted in criminal trials with varying results; after seven years in court, the McMartin trial resulted in no convictions for any of the accused, while other cases resulted in lengthy sentences, some of which were later reversed. Scholarly interest in the topic slowly built, eventually resulting in the conclusion that the phenomenon was a moral panic, with little or no validity beyond paranoia.
Official investigations produced no evidence of widespread conspiracies or of the slaughter of thousands; only a small number of verified crimes have even remote similarities to tales of SRA. In the latter half of the 1990s interest in SRA declined and skepticism became the default position, with very few researchers giving any credence to the existence of SRA." (Wikipedia, article "satanic ritual abuse")

Une conjonction d'inquiétudes nées de l'existence récente et médiatique du satanisme cultuel, de la mort rapide de l'optimisme des années hippies, de quelques faits divers comme l'affaire Manson, de la réaction politique de la droite américaine, sous les années Reagan et suivantes, à un certain recul culturel de ses valeurs dans les décennies précédentes, et d'allégations de psychothérapeutes, spécialistes de thérapies fondées, notamment, sur la réminiscence par hypnose, et alors en vogue, ont eu des conséquences sociales et judiciaires assez considérables, avant que l'opinion, suite aux efforts de juristes, de psychiatres, d'universitaires, et autres, et faute de preuves factuelles, finisse par changer de camp. La thèse suivant laquelle des cultes satanistes clandestins enlèveraient et assassineraient des enfants, et contrôleraient de nombreux hommes politiques et représentants des autorités, a convaincu de nombreux parents, journalistes, policiers et magistrats, la peur aidant, que l'absence de preuves n'était nullement synonyme d'absence de culpabilité. Cette peur diffuse, et des allégations issues souvent de la droite religieuse (même s'il faut reconnaître que parmi les auteurs de plusieurs contributions décisives contre la "Satanic Panic" figuraient plusieurs évangéliques) ont conduit à soupçonner d'appartenance à des réseaux pédophiles et/ou meurtriers de nombreux américains (ironiquement, plus souvent chrétiens que satanistes), et à leur faire vivre des procédures judiciaires interminables, ainsi que l'opprobre sociale et médiatique.


                                           (source: The invention of Satanism, op. cit., ch. 5)

 Pour donner un exemple extrême, les époux Keller, condamnés à une peine d'emprisonnement pour divers meurtres et viols d'enfants en 1992, ont finalement été reconnus innocents et libérés en... 2014, après que le médecin dont l'expertise avait été décisive dans leur condamnation ait fini par se rétracter. Et pourtant:

"Satanic ritual abuse was the thread that wound through the Kellers’ trial. Therapist David-Campbell testified for the prosecution that Christy’s acting out was consistent with children abused by satanic cults and that she believed Christy was telling the truth. A ritual abuse “expert,” clinical psychologist Randy Noblitt, testified that satanic cults are real, that they are widespread, and that he too believed Christy, despite not having interviewed her. (As Hampton, the Kellers’ attorney, wrote in Fran Keller’s appeal, “In 2003, Noblitt was featured on ABC’sPrimetime having a conversation with Satan who, Noblitt agreed, was actually a pretty nice guy, notwithstanding, of course, his role as the dark lord of evil. No court and no jury should ever rely on the testimony of Dr. Noblitt.”) In addition, the jury heard evidence that local graveyards had been “disturbed,” consistent with the children’s claims of impromptu exhumations, although the jury never heard that those disruptions included natural soil erosion.
[...]The methods used by forensic investigators to elicit stories of abuse from the children were taken straight from the ritual abuse panic playbook. University of Texas at El Paso psychologist James Wood, who has written about the suggestive interviewing techniques used in the McMartin trial, for a 1993 episode of American Justice viewed videos of investigators from the Travis County Sheriff’s Department interviewing the young children who made claims against the Kellers." (Slate, "The real victims of satanic ritual abuse").

Ces vidéos, comme beaucoup d'autres, montraient que les interrogateurs orientaient le témoignage des enfants, quitte à les gronder ou les punir quand ils ne disaient pas ce qui était attendu, comme le soulignent les auteurs de The Invention of Satanism à propos d'un autre scandale célèbre du SRA, le procès McMartin, qui a abouti en 1990 à un acquittement général après sept ans de procédures et 15 millions de dollars de dépenses pour la justice américaine:



                                                                 (source: idem)
Les auteurs de The Invention of Satanism citent encore (ibid.) un membre de l'administration pénitentiaire américaine, qui, lors du procès d'un détenu sataniste, donc, j'imagine, sous serment, a soutenu que la Bible de Satan incitait à "tuer, violer, voler à volonté, sans regard pour les conséquences morales et légales", sans que la cour ait cru utile de vérifier ses dires. Ou encore un membre des forces de l'ordre qui déclare à la presse que des mutilations de bétail dans sa juridiction correspondent à des passages de ce même livre. Alors que la Bible de Satan condamne explicitement le meurtre, le vol et le viol, et qu'elle ne comporte aucune description de mutilations de bétail, comme n'importe qui l'ayant vraiment lue, par exemple moi, pourra le confirmer. Ils relatent aussi le témoignage très révélateur d'un prêtre, donné lors d'un "séminaire sur les crimes sataniques", qui avait vu un jeune jeter ce même livre sur ce bureau, et en avait tellement eu peur qu'il n'avait même pas osé le toucher, a fortiori le lire.

Mais que vaut la réalité observable et vérifiable, face à la peur d'avoir affaire à des forces qui nous dépassent et de "jouer avec le feu"?

Les auteurs citent également un cas plus controversé, encore aujourd'hui, puisque Paul Ingram, un chrétien pentecôtiste, a été finalement condamné. Outre les soupçons de viol qui pesaient initialement sur lui, la police l'a soupçonné de s'être livré à des meurtres dans le cadre de rituels sataniques, et d'avoir enterré les cadavres dans sa propriété, charges finalement abandonnées par le procureur. Ils ont même fait appel aux services d'un archéologue, Mark Papworth. Celui-ci a décrit dans un entretien que les auteurs de The invention of Satanism citent la réaction de la police à ses conclusions, à savoir que de son point de vue de scientifique, il n'y avait pas de cadavres enterrés et il n'y en avait jamais eu:


                                            (ibid.)

Je laisse de côté la question de la culpabilité effective d'Ingram, concernant les charges effectivement reconnues contre lui, et les débats sur l'altérations des souvenirs (la véracité de ses aveux concernant certains faits est contestée par ses défenseurs). L'important dans cet extrait me parait être la facilité avec laquelle la croyance au surnaturel peut prévaloir, y compris dans l'esprit de professionnels confrontés à des lourdes responsabilités, sur l'examen attentif des données factuelles et l'avis des experts.

Cela me fait penser à la réaction d'un commentateur, lorsque j'ai posté l'initiative du Temple satanique de venir en aide aux musulmans américains sur la page facebook de la CCBF. Lorsqu'il me l'a eproché, je lui ai dit que l'acte me paraissait louable, et il m'a répondu: "parce que vous les croyez vraiment sincères?" ou quelque chose de ce genre. Au moins une fois par semaine, un responsable chrétien défend publiquement dans les médias une horreur sans nom. La réaction de certains catholiques est invariablement: "les médias ont déformé, ils ont pris hors contexte". Des satanistes, ou présumés tels, ne font rien de grave, ou font quelque chose d'objectivement bon. La réaction est tout aussi invariablement: "qu'est-ce que ça cache?". Lorsque l'imagination, et les appartenances sociales et idéologiques, finissent à ce point par primer sur l'examen des faits les les actions réelles des personnes, et leurs conséquences, une quelconque forme de discernement moral est-elle encore possible, pour ne pas parler de discernement spirituel?

Des paniques sataniques resurgissent régulièrement dans l'actualité. En 2008, la MIVILUDES a évalué le nombre de satanistes en France à 25 000, un résultat plus que très surprenant et très peu étayé par des élément factuels. Certains universitaires initialement associés à l'élaboration de son rapport ont été rapidement écartés, et ont très fortement contesté les conclusions de ce dernier. En 2014, une rumeur s'est répandue dans le Royaume Uni: un culte satanique clandestin s'en prendrait aux enfants dans le nord de Londres. Ces allégations ont récemment été balayées par la justice anglaise.

Bien sûr, il est absolument normal que les forces de l'ordre interviennent quand des violences sur mineurs (ou d'ailleurs sur majeurs) sont suspectés. L'affaire Outreau n'efface pas l'affaire Dutroux. Mais l'affaire Dutroux n'efface pas non plus l'affaire Outreau, et, compte tenu de la gravité des enjeux, il parait préférable de laisser les professionnels faire leur travail le plus sereinement possible sans répandre dans l'opinion publique des rumeurs sur le surnaturel et le Diable, qui paralysent le jugement, et permettent de contester tous les faits qui ne vont pas dans le sens souhaité ("si vous étiez le Diable, laisseriez-vous vraiment des preuves?").

Je ne dis pas qu'il n'existe pas d'organisations ou d'individus satanistes qui soient très inquiétants. Joy of Satan est une organisation ouvertement néo-nazie. The Order of Nine Angles, en plus d'être néo-nazi, se réserve explicitement le droit de procéder à des actes criminels, tels que des sacrifices humains ou des assassinats politiques (quoique personne, à ce jour et à ma connaissance, n'a réussi à déterminer la part de provocation et et celle d'activisme réel dans leurs propos, en l'absence et de passages à l'acte identifiés comme tels, et d'arrestations). Jon Nodtveidt, du groupe de black metal Dissection, membre du Temple of the Black Light (alors connu sous le nom de Misanthropic Luciferian Order), aujourd'hui décédé, a participé à un meurtre en 1997, ce qui lui a valu 7 ans de prison. Il me parait cependant important de relever que ces groupes et individus restent à la marge, et sont condamnés tout à fait explicitement par de très nombreux satanistes, de même que des extrémistes violents issus des religions plus traditionnelles sont rejeté par la plupart des pratiquants. La loi condamne le meurtre, les profanations de sépultures, et les discriminations, que ces infractions émanent de satanistes, de chrétiens, ou d'athées. Pour les religions citées (ou d'ailleurs celles non citées), les polémiques récurrentes sur qui sont les "vrais" représentants me paraissent vaines et contre-productives. Nous ne pouvons nous placer ni du point de vue de Dieu, ni de celui de Satan. Ce qui importe à mes yeux, c'est si tel ou tel courant, ou tel individu, par certains aspects, enfreint ou non la loi. Si oui, il est légitime que les forces de l'ordre le répriment. Si non, pourquoi devrait-il être condamné?

En réaction à mon dernier article sur Inner Light, une connaissance a cru bon de tweeter une copie-écran du triple renoncement du baptême. Ce genre de réaction me terrifie, bien plus que l'Eglise de Satan ou le Temple Satanique. Ce qui m'a paru être affirmé par ce tweet, c'est l'idée qu'une position de principe de toute éternité, qui mentionne le mot Satan dans un lieu et une époque, et surtout dans un sens, qui n'ont rien à voir avec l'usage fait par la plupart des organisations satanistes contemporaines, prime sur ce que chaque individu fait, dans la réalité concrète au jour le jour, de ce mot. On est vraiment, à mon sens, dans le mépris de la réalité, complexe et souvent surprenante, qui a favorisé la satanic panic et les erreurs judiciaires qui ont suivies. Cela rejoint une interrogation théologique qui est pour moi fondamentale, et qui se pose aussi pour des questions très différentes: l'homosexualité, le genre etc. L'Eglise a-t-elle le droit, au nom de la cohérence de son enseignement et des principes théoriques qi le structurent, de précéder le discernement effectif, au cas par cas, des personnes?

Conclusion: 

Certains lecteurs, parvenus au terme de ce billet, se disent sans doute: "mais s'ils sont si inoffensifs, pourquoi se disent-ils satanistes?" J'aimerais déplacer cette question de la manière suivante: "qu'est-ce qui les a poussés à dépasser le stigmate social et religieux attaché au satanisme pour se le réapproprier?" La réponse est bien sûr très différente suivant les personnes et les organisations. Si je puis me permettre de citer mes souvenirs de quand j'avais dix-huit ans, je tenais à l'époque le raisonnement suivant: "mes années de scolarisation en établissement catholique m'ont montré combien le christianisme, qui prétend représenter le bien, fait en réalité le mal. Il semble logique que ce qu'il décrit comme son contraire et comme le mal absolu, le satanisme, soit en fait le bien".

Dans les termes d'Adam Nergal Darski, membre du groupe de black metal Behemoth, qui s'est présenté à l'occasion comme un sataniste athée:

(source: Confession of a Heretic: the sacred and the profane: behemoth and beyond, Darski, Eglinton, Jawbone press 2015, ch. XII)

Et toutes tendances confondus, il est vrai, si j'en crois les enquêtes de James R. Lewis dont The invention of Satanism rend compte, que l'hostilité envers le christianisme reste forte chez les satanistes.

Certains y verront un prétexte pour continuer à faire du satanisme un épouvantail, contre lequel les "fondamentaux" de la morale chrétienne apparaitront comme un ultime rempart.

Pour ma part, je trouve cette réaction bien trop facile et complaisante. A côté de certains reproches injustes, et à l'occasion de torts réels, il y a des satanistes qui ont des reproches sérieux, vécus, et solides à adresser, sinon au christianisme dans son ensemble, du moins au visage qu'il donne trop souvent à voir. Si les témoignages de satanistes continuent à me passionner, ce n'est plus, comme en 1995, par révolte, mais parce qu'ils constituent à mes yeux, certains d'entre eux en tout cas, un excellent révélateur des structures de péché à l'oeuvre actuellement dans l'Eglise. Et qui cerne plus précisément les causes commence à entrevoir le remède.

Et je recommande à celles et ceux qui ne manqueront pas de me faire part de leur réprobation, leur indignation ou leur mépris, suite à la lecture de ce billet, de bien méditer ce paragraphe, et le témoignage qu'ils rendent (et je ne m'exclus pas de cette démarche d'introspection).